B. LE MONDE DANS TOUS SES ETATS ...

Licence de géographie
Université Paris VII - 1999-2000
Claude GRASLAND
 

B.0 : INTRODUCTION

 

 
 
 

La division du monde en Etats constitue, qu'on le veuille ou non, une grille obligée d'analyse des grandes répartitions économiques, sociales et démographiques à la surface de la Terre. C'est en effet dans le cadre des Etats que sont produites et compilées la plupart des bases de données statistiques permettant de rendre compte de la distribution des hommes et de leurs activités à la surface de la terre. C'est également dans le cadre des Etats que s'opèrent une grande partie des régulations économiques et sociales et que des crises majeures peuvent se déclencher sans déborder du cadre strict des frontières politiques de l'Etat concerné. O. Dollfus a pu parler de chaos borné, pour décrire certains territoires plongés dans une crise qui n'affecte que leurs habitants et s'arrête (au moins dans ses conséquences majeures et dans un premier temps) aux limites des frontières. On pourrait ajouter qu'à l'inverse certains Etats entourés par des espaces plus pauvres bénéficient d'une prospérité insolente qui, là encore, s'arrête net aux frontières (le plus souvent sévèrement gardées) avec les états voisins.
 

Définition politique de l'Etat

Même si l'on utilise le découpage des Etats de façon purement instrumentale (réalisation de cartes) on ne peut ignorer la nature profondément politique de ce découpage territorial et la violence (certes légitime) dont il est porteur à l'égard des sociétés concernées. Comme l'a souligné M. Weber, un Etat est avant tout une entreprise politique de caractère institutionnel pour laquelle le contrôle d'un territoire est une condition nécessaire à l'établissement d'un pouvoir fondé en dernière instance sur le recours à la violence physique légitime.
 
"Nous dirons d'un groupement de domination qu'il est un groupement politique lorsque et en tant que son existence et la validité de ses règlements sont garantis de façon continue à l'intérieur d'un territoire géographique déterminable par l'application et la menace d'une contrainte physique de la part de la direction administrative."
[...]
"Nous entendons par Etat une entreprise politique de caractère institutionnel, lorsque et en tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime."

M. Weber, Economie et Société, I.1.17

Que le pouvoir exercé par un Etat sur une société soit reconnue ou refusé par la majorité de la population, il ne peut en tout état de cause obtenir le titre de pouvoir politique que s'il est établi sur la base d'un contrôle territorial permettant fondamentalement de contrôler les flux de personnes, d'information et de richesses. Un Etat incapable de contrôler ses frontières est ipso facto dans l'incapacité de contrôler la société qui réside à l'intérieur de celles-ci et pert de se fait sa qualité d'Etat, au sens donné par M. Weber à ce terme.
 

L'Etat et le "monopole de la collecte statistique légitime"

Le dénombrement des ressources disponibles sur un territoire, et singulièrement de la population constitue un attribut majeur de la souveraineté politique et, parodiant M. Weber, on serait tenté de dire que le monopole de la collecte statistique légitime constitue l'un des critères les plus pertinents de définition de la souveraineté politique et de l'existence d'un Etat. Il suffit pour s'en convaincre de comparer le pouvoir statistique d'un Etat tel que la France à celui des régions qui le composent ou à celui de l'Union Européenne qui l'englobe :

(a) Il existe certes des délégations statistiques régionales ou départementales mais, quel que soit le domaine considéré (économie, agriculture, démographie, ...) elles sont étroitement soumises à l'autorité d'une administration statistique centrale (INSEE) ou d'un ministère (agriculture, transport, ...) qui est seule apte à valider les productions des adminsitrations locales. La définition des indicateurs et leur liste est le plus souvent décidée au niveau central, même si les délégations locales ont le droit d'ajouter quelques indicateurs à la liste officielle. Dans les pays plus décentralisé (Allemagne) on observe une situation inverse de très grande autonomie des offices statistiques des Länder et d'interdiction faite au pouvoir central de délivrer des statistiques nationales sans leur accord.

(b) Au niveau européeen, l'organisme de collecte central (EUROSTAT) placé sous l'autorité de la Commission de Bruxelles a longtemps été critiqué pour l'hétérogénéité des séries statistiques qu'il produisait (par exemple les statistiques de chômage au niveau régional) ainsi que celle des maillages territoriaux servant de cadre aux analyses (niveaux NUTS). Mais ce reproche était partiellement injuste car EUROSTAT était tenu d'accepter en l'état les découpages régionaux et  les informations statistiques  fournis par les Etats membres et n'avait ni le droit de modifier, ni même celui de critiquer les chiffres fournis par les organismes statistiques nationaux. Ce n'est que récemment (après les traités d'Amsterdam et de Maastrichst) que l'on a vu apparaître des tentatives d'harmonisations des bases de données européenns voire des propositions de normalisation des indicateurs envoyées aux Etats membres. On évoque même de façon timide des projets d'harmonisation des découpages territoriaux, mais la question demeure très délicate dans la mesure où ces découpages servent souvent de base aux attributions de primes du FEDER.

En tout état de cause, ces deux exemples montrent clairement que le pouvoir statistique est en général le reflet fidèle de l'équilibre des pouvoirs politiques entre différents échelons territoriaux. Deux attributs sont clairement attribués à l'état et à lui seul : (1) le découpage du territoire en unités servant à la collecte de l'information et à la transmission des résultats et (2) le choix des catégories servant de base au dénombrement de la population et des richesses.
 


Enjeux politiques de la collecte et de la production de statistiques internationales

L'utilisateur de données statistiques nationales publiées dans des annuaires internationaux doit donc être parfaitement conscient que leur simple existence, indépendamment de leur fiabilité, constitue un acte politique majeur de reconnaissance d'un territoire ou d'un pouvoir par la communauté internationale. Pour un territoire occupé militairement ou pour un territoire indépendant mais à la légitimité contestée, la publication d'une ligne de chiffre le concernant dans les annuaires de l'ONU, la FAO ou la Banque Mondiale est un enjeu crucial.

D'une manière générale, les changements de frontière politique (ex. éclatement de la Yougoslavie ou de l'URSS) sont implicitement avalisés par la communauté internationale, à partir du moment où de nouvelles publications prennent en compte les nouvelles délimitations territoriales issues d'une partition ou d'une diffusion. Ceci n'est pas sans poser des problèmes lorsque les statistiques comportent des séries chronologiques ou des prévisions d'évolution. L'embarras des organismes internationaux est particulièrement visible dans le cas des territoires partiellement autonomes rattachés à un état souverain, surtout lorsque ces territoires sont situés dans une autre aire continentale que l'Etat dont ils dépendent. En les rattachant à leur Etat de tutelle, on fausserait le calcul des statistiques par continent ou sous-continent dont ces organismes sont friands, mais en les isolant on leur reconnaît implicitement une autonomie statistique qui peut faire sourciller leur Etat de rattachement. Des astuces typographiques (italiques, notes en bas de pages, ...) sont en général employés pour traiter ces exceptions spécifiques.
  Qualité des bases de données statistiques internationales

La plupart des organismes statistiques internationaux mettent un point d'honneur à remplir toutes les lignes et colonnes de leurs tableaux, alors même que l'information est souvent irrémédiablement absente faute de recensement récent ou même de simples enquêtes établies sur une base de sondage fiable. La plupart des informations relatives aux pays les moins avancées constituent donc des estimations dont la méthodologie n'est pas toujours présentée de façon détaillée. En outre, de nombreux organismes recopient les informations statistiques produites par d'autres, sans toujours indiquer la source primaire, de sorte qu'il est fréquemment impossible de retrouver le cheminement des données présentées dans un tableau. Le fait que les chiffres publiées par plusieurs organismes soient voisins ou identiques n'est nullement rassurant, si l'on tient compte de ce phénomène de copie et de pseudo-validation des grandes bases de données les unes par les autres !
 

Définition de la liste des pays et territoires constituant le corpus d'analyse

Il est nécessaire avant toute analyse internationale d'arrêter une liste précise de pays constituant le corpus statistique et cartographique de l'analyse. Bien que cette opération entraîne nécessairement une certaine dose d'arbitraire, elle permet d'assurer aux traitements qui suivront une cohérence plus grande que l'emploi d'une liste variable qui ne permettrait pas de comparer les classements ou les paramètres caractéristiques de chacune des distributions d'indicateurs.

L'établissement de la liste des Etats étudiés se fonde sur la combinaison de plusieurs critères :

(1) La nature politique des unités territoriales (Etats / Territoires)
=> Nous avons choisi de ne retenir a priori que les Etats indépendants et reconnus comme tels par la communauté internationale. Toutefois nous avons fait une exception pour la Guyane française dans la mesure où l'analyse cartographique serait fortement biaisée si on l'agrégeait à la France. Nous avons également retenu Tai-Wan comme entité politique autonome.

(2) La date de référence
=> Les découpages politiques étant en constante évolution, il est nécessaire de se caler sur une date de référence pour fixer le maillage territorial de référence. Nous avons retenu ici la date la plus récente (1999) qui prend en compte les grands bouleversements géopolitiques de l'Europe centre-orientale et les nouveaux Etats issus du démantèlement de la Yougoslavie, l'URSS ou la Tchécoslovaquie. Faute de disposer d'un fonds de carte adéquat nous n'avons toutefois pas pris en compte le démantèlement de l'Ethiopie (Erythrée) et les situations complexes du Sahara Occidental ou de la Palestine.

(3) La taille minimale (population/superficie) des unités territoriales
=> Pour des raisons de cohésion statistique, il est nécessaire de retirer de l'analyse les unités territoriales de taille trop petite qui fausseraient les analyses (population) et qui seraient impossible à représenter cartographiquement (superficie). En fixant un seuil minimum de 10000 km2 et 1 000 000 habitants on a établi une première liste de pays qui a ensuite été adaptée en fonction des contraintes de représentation cartographique qui nous étaient imposées et des sources disponibles. Certains pays ne respectant pas les deux seuils ont toutefois été conservés en raison de leur importance cartographique (Guyane Française, Surinam, ...) ou économique (Luxembourg). D'autres ont en revanche été éliminé faute d'informations suffisantes sur leur situation politique actuelle (Cisjordanie, Sahara occidental, Lésotho, Swaziland ...)

Au total l'analyse porte sur 155 Etats ou territoires autonomes qui regroupent 98% de la surface des terres émergées et 99.5% de la population mondiale.
 

Méthodologie retenue pour brosser un tableau des Etats du Monde

L'objectif de ce chapitre n'est pas de se plonger dans l'immense littérature consacrée à la description des Etats du Monde (centaines d'ouvrages, milliers d'articles et de cartes, ...) pas plus que d'étudier un à un tous les indicateurs possibles (ou plutôt disponibles ...) ce qui serait d'un ennui épouvantable et aboutirait à des redondances incessantes (en raison des corrélations fortes entre de nombreux indicateurs).

Le but de l'analyse est d'aboutir à une synthèse des différenciations des Etats du Monde en se fondant sur l'analyse de trois séries de critères qui se recoupent partiellement:  (1) les différences de taille, (2) les différences de structure démographique et (3) les différences de niveau de développement.

Cette synthèse devra permettre de dégager (1)  des facteurs de différenciation des Etats du monde (groupes de variables corrélées) et (2) une classification des Etats du Monde (groupe d'Etats ayant des profils similaires). Facteurs de différenciation et classification seront comparés en conclusion aux indicateurs synthétiques produits par les Nations-Unies et aux grandes classification qui en découlent (Pays Riches, Pays en développement, PMA, ...).

Les outils statistiques et cartographiques seront largement mis à contribution pour procéder à cette synthèse car, sauf masochisme ou perversité, il est exclu de manipuler "à la main" des tableaux de données comportant 150 à 200 pays décrits par une ou deux dizaines de variables.