Il nous est cependant apparu dans un second temps que les contraintes éditoriales du produit où seraient inséré ces documents risquaient de limiter la portée d'un certain nombre de commentaires, de nature à la fois scientifique et politique, qu'implique le commentaire des résultats obtenus. Dans le cadre du présent cours de licence de géographie, il est possible de développer de façon beaucoup plus approfondie les questions à la fois théoriques et méthodologiques qui sous-tendent l'analyse de la population et de la richesse mondiale.
La mise à disposition libre de la présente étude
sur Internet n'est pas fortuite mais constitue un choix. En effet, les
données qui ont servi de support à ce travail et sans
lequel il n'aurait pas été possible (base de donnée
UNEP-GRID, Banque Mondiale) sont mises librement à la disposition
des chercheurs du monde entier sur différents sites Internet. Et
il nous semble donc tout à fait naturel et souhaitable de mettre
à notre tour à la libre disposition du plus grand nombre
les résultats du travail effectué sur ces données
et de le soumettre ainsi à une diffusion et une critique aussi large
que possible.
La base de donnée UNEP-GRID fournit également l'appartenance de chaque carreau de la grille aux différents Etats ou territoire, une case pouvant apparaître plusieurs fois si elle est traversée par une frontière internationale. Il est donc possible, en se fondant sur la clé de répartition des populations nationales, d'affecter à chaque case de la grille un poids proportionnel à des taux nationaux dont le dénominateur est la population (proportion de jeunes, nombre de médecins par habitants, ...) et de reconstituer approximativement la distribution mondiale d'autres facteurs (nombre de jeunes, nombre de médecins, ...).
A titre d'exemple, nous avons multiplié la population de chaque
carreau de la base UNEP-GRID par le PNB moyen par habitant des Etats dont
dépendent ces populations, ce qui permet de reconstituer dans ses
grandes lignes la distribution de la richesse mondiale par carreaux de
1° de latitude et de longitude (Carte 2).
Il s'agit évidemment d'une approximation assez grossière de la distribution de la richesse mondiale, puisqu'elle ne tient pas compte des inégalités de répartition intra-nationales de la richesse (variations régionales du PNB/habitant), ce qui est particulièrement gênant dans le cas des états de grande taille et à forts contrastes inétrieurs de richesse tels que la Chine, le Brésil, l'Inde, la Russie ou les Etats-Unis. On sait par exemple que le PNB par habitant des provinces côtières de Chine est trois à cinq fois supérieur à celui des provinces intérieures et l'on pourrait envisager des corrections de la distribution proposée en utilisant des informations plus désagrégées sur les PNB régionaux. On aurait pu également affecter arbitrairement des valeurs plus élevées de PNB aux zones urbanisées en se fondant sur les régularités de la relation entre PNB/hab. et densité de population qui est observées dans la plupart des Etats du Monde.
L' approximation retenue est cependant tout à fait suffisante
si l'objectif visé est de définir les contrastes globaux
et les inégalités majeurs de répartition de la population
et de la richesse à l'échelle mondiale.
Si les cartes carroyées fournissent une première visualisation
spectaculaire des différences des richesse à l'échelle
mondiale (Cartes 1 et 2) elles ne permettent pas d'en prendre la
juste mesure et subissent de nombreux biais.
Le calcul d'un potentiel de population à l'aide de fonction de voisinage de portée variables permet précisément de répondre à cet objectif d'analyse multiscalaire de la répartition des grandes masses démographiques. La manière la plus simple de définir le potentiel d'un point de la terre à différentes échelles consiste à calculer la quantité de population à l'intérieur d'un cercle d'un certain rayon que l'on place successivement en tous points de la terre (Béguin, H., 1979). Mais cette méthode à l'inconvénient de produire des discontinuités circulaires artificielles dans la carte du potentiel puisque chaque foyer de concentration est pris en compte selon une règle du "tout ou rien" lorsque l'on promène le cercle à la surface de la terre. L'hypothèse de voisinage sous-jacente est d'ailleurs peu réaliste puisque l'on sait que les interactions spatiales diminuent généralement de façon régulière avec la distance et ne passent pas brutalement du maximum ou minimum au delà d'une certaine valeur critique. Il semble donc plus intéressant de calculer le potentiel à l'aide d'une fonction de voisinage décroissant de façon continue en fonction de la distance au point d'observation.
La fonction exponentielle négative présente de ce
point de vue un certain nombre d'avantages théoriques et méthodologiques
qui ont été soulignés par de nombreux auteurs et qui
tiennent à ce qu'elle correspond à la fois aux observations
empiriques sur la circulation des flux et des informations dans l'espace
(Hägerstrand, 1953). Le choix d'une variante gaussienne (fonction
exponentielle négative d'exposant 2) permet de caractériser
facilement la portée spatiale du lissage qui a été
opérée (l'équivalent du rayon dans le cas de la méthode
de lissage fondé sur l'emploi d'un cercle). On parlera ainsi de
"population localisée dans un voisinage gaussien de portée
X km" pour décrire le potentiel résultant de l'application
d'une fonction d'interaction spatiale gaussienne prenant la valeur 0.5
à une distance de X km. Pour plus de détail sur les avantages
de cette reformulation du potentiel par rapport aux formulations classiques
de Stewart et de ses successeurs (fondées sur une décroissance
des interactions de type 1/d ou 1/da) le lecteur pourra se reporter
aux articles fondateur de C. Grasland (1990) et de Boursier-Mougenot
& al. (1993) ainsi qu'aux travaux du groupe de recherche Hypercarte
(1997, 1998).
Le calcul de potentiels de population fondés sur des voisinages
de portée variable permet de s'affranchir de l'incertitude
initiale de localisation et de faire apparaître les foyers de concentration
ou de dispersion de la population et de la richesse à des niveaux
d'analyse différents. Au lieu de procéder à un comptage
de la population ou de la richesse à l'intérieur de mailles
territoriales prédéfinies, le potentiel permet de mesurer
en tout point de la surface terrestre la quantité de population
situés dans son voisinage, la forme et la portée du voisinage
pouvant varier en fonction de la nature de la distribution considérée
ainsi que de l'objectif de l'observateur de cette distribution. En
retenant une portée minimum de voisinage de 250 km (pour tenir compte
de l'incertitude initiale de localisation des données UNEP-GRID)
et en examinant également les potentiels de population
à des portées supérieures de voisinage (500 km, 1000
km, 2000 km), on peut donc procéder à une analyse multiscalaire
de la distribution de la population mondiale, beaucoup plus riche que la
simple analyse de la distribution à une échelle donnée.
Avec un voisinage de portée 250 km (Carte 3), on voit bien ressortir la multiplicité des foyers de concentration démographique et leur hiérarchisation. Les concentrations de population supérieure à 100 millions d'habitants dans un voisinage de 250 km ne s'observent qu'en Asie : dans le nord-est de la Chine et au Bangladesh. L'Europe du Nord-Ouest et le Japon constituent des foyers de concentration moins puissantes, totalisant entre 50 et 100 millions d'habitants pour la portée spatiale considérée. Les pics de concentration de population observables en Amérique ou en Afrique sont plus nombreux mais ne dépassent pas quant à eux 10 à 50 millions d'habitants. Si on y ajoute des pics de portée plus faible en Océanie, en Australie ou en Russie, on arrive à un total d'une trentaine de foyers de concentration de population (pics de potentiel) inégalement répartis sur les différents continents .
Avec un voisinage de portée 500 km (Carte 4) l'image précédente se simplifie fortement et la hiérarchie des pôles tend à se modifier, plusieurs pôles de petite taille pouvant donner naissance à un pôle de portée supérieure. La zone de potentiel de population supérieurs à 100 millions d'habitants couvre désormais la majeure partie de l'Inde, l'ouest de la Chine et le cœur de l'espace européen. Des potentiels supérieurs à 50 millions d'habitants s'observent aussi bien en Amérique du Nord qu'en Amérique du Sud, en Afrique et au Proche-Orient. Des zones désertiques entourées par des espaces très peuplés (Amazonie, Himalaya, Sahara) voient leur potentiel fortement augmenté , à l'instar de certaines étendues maritimes proches de terres peuplées (Caraïbes, Méditerranée, Indonésie). Seules les zones polaires, l'ouest de l'Australie et la Patagonie demeurent des aires situées en marge de l'occupation humaine (potentiel inférieur à 1 million d'habitants).
Avec un voisinage de portée de 1000 km (Carte 5), les terres situées en marges de l'occupation voient leur nombre se réduire encore davantage tandis que les foyers se concentrent autour d'un nombre toujours plus réduit de pôles : 1 en Amérique du Nord, 1 en Amérique du sud, 2 en Afrique, 1 en Europe, 2 en Asie, 1 en Australie. Certains pôles débordent d'ailleurs sur les continents voisins. Ainsi le gradient de potentiel à partir du maxima européen déborde exemple largement sur l'Afrique du Nord et le Proche-Orient, tandis que le pôle nord-américain se prolonge via le Mexique vers la Colombie et le Vénézuela.
Avec un voisinage de portée 2000 km (Carte 6), on aboutit
enfin à une image bipolaire de la distribution mondiale de la population,
clairement organisée par la répartition des grandes masses
continentales entre un "ancien monde" (Europe, Asie, Afrique) et un "nouveau
monde" (Amériques) séparés par les grands océans.
L'Asie du sud-est d'une part et le vieux-sud améicain d'autre
part constituent les deux pics à partir desquels s'organisent la
décroissance des potentiels de population mondiale à cette
échelle. L'Europe n'apparaît plus à cette échelle
que comme un prolongement occidental du maximum de population asiatique.
Seuls l'Antarctique et les confins orientaux de l'océan Pacifique
demeurent de véritables déserts humains à cette échelle
d'observation, le pôle nord affichant quant à lui des valeurs
de potentiel non négligeables (plus de 10 millions d'habitants).
Sans doute, chacun est libre de considérer que tel carte ou tel
autre reflète mieux sa propre perception subjective de la distribution
de la population mondiale. Mais la démarche scientifiquement la
plus féconde consiste à admettre le caractère multiscalaire
du phénomène de concentration du peuplement et à admettre
qu'il existe un continuum entre l'ensemble des représentations possibles
que l'on peut établir en faisant varier la portée d'une famille
de voisinage donnée. On pourrait naturellement utiliser d'autres
formes de voisinage et les appliquer à d'autres mesures d'éloignement
que la distance orthodromique (temps, coût, fréquence, ...)
mais ceci ne changerait pas la nature du problème posé par
ces cartes à l'observateur : il est arbitraire de choisir
une image plutôt qu'une autre en dehors d'un questionnement spécifique
ou d'hypothèses explicites sur le phénomène observé.
L'observation des cartes du potentiel de richesse (Cartes 7 à 10) établies à l'aide des même portées que les précédentes cartes de potentiel de population (Cartes 3 à 6) soulignent l'existence de différences considérables dans les deux distributions, quelle que soit la portée considérée. La richesse se concentre en effet très fortement dans les zones tempérées de l'hémisphère nord et, très secondairement, de l'hémisphère sud.
La fameuse "Triade" (Etats-Unis, Europe, Japon) ressort nettement sur la carte du potentiel de richesse utilisant une portée de 2000 km et les zones d'influence associées à ces trois foyers majeurs de concentration de la richesse mondiale sont particulièrement bien mis en évidence par les auréoles de décroissance du potentiel. Pour autant, l'analyse des cartes de potentiel établie à des portées plus réduite permet de mettre en évidence d'autres formes de structuration aux niveaux d'analyses inférieurs. Ainsi, la carte du potentiel de richesse à 1000 km met en évidence une "Petite Triade" australe (Brésil-Argentine, Afrique du Sud, Australie-Nouvelle-Zélande) qui est le symétrique presque exacte de sa grande soeur boréale. Sur les cartes de potentiel de richesse à 250 km et 500 km, on peut mettre en évidence la forte compacité du noyau de richesse européen (unipolaire et centré sur l'axe rhénan) qui contraste avec le caractère plus axial de la zone de richesse sud-asiatique (Corée-Japon-Hong-Kong-Taïwan-Singapour et la structure polynucléaire emboîtée du foyer nord-américain (foyers urbains de la Côte Est, de la Côte Ouest et du Golfe du Mexique).
On remarquera que le fait de cartographier le PNB en masse et
non pas sous la forme habituelle d'un ratio per capita permet d'examiner
d'un oeil légèrement différent la situation des pays
intermédiaires et des pays en voie de développement. Ainsi,
le foyer de richesse constitué par les Etats pétroliers du
golfe persique n'apparaît pas aussi important que les cartes habituelles
pourraient le laisser supposer et son centre de gravité est nettement
décalé vers le nord par rapport à l'image que donnent
les cartes de PNB par habitant. Inversement, des zones à PNB faible
ou modéré réussisent à atteindre des niveaux
de concentration de richesse non négligeables, en raison de la masse
des activités et des habitants qu'elles mettent en jeu (Nigéria,
Inde, Chine, Indonésie). Ces concentrations ressortiraient d'ailleurs
encore mieux si l'on avait opté pour un indicateur de production
plus fiable que le PNB et plus à même de prendre en compte
les productions réalisées dans les secteurs informels de
l'économie des pays en voie de développement.
Imaginons … Imaginons une terre sans frontières où
tous les habitants disposeraient des même revenus et pourraient se
déplacer librement dans toutes les directions à l'aide de
moyens de transport aériens utilisant la distance la plus courte
compte tenue de la courbure de la terre (distance orthodromique). Imaginons
que le coût et le temps de transport ne constituent pas un problème
et que tous les habitants de cette terre veuillent ou puissent chercher
à se rencontrer sans considérations de langues, de cultures
ou de régimes politiques. Imaginons que la répartition de
la population sur cette terre imaginaire soit celle que l'on peut observer
sur notre planète au début des années 1990.
Quelles seraient alors les zones les plus accessibles et les moins accessibles,
c'est-à-dire celles où l'on est en moyenne le plus proche
ou le plus éloigné de l'ensemble des habitants de la planète
?
En admettant toutes les hypothèses précédentes,
la carte des zones les plus accessibles et les moins accessibles correspondrait
à la carte de l'accessibilité démographique mondiale
(Carte 11) qui présente la distance orthodromique moyenne
de chaque point de la surface terrestre à l'ensemble de la population
mondiale .
Vers 1990, les valeurs d'accessibilité démographique varient à peu près du simple au triple, le point le plus accessible étant situé dans la haute vallée de l'Indus, aux confins du Cachemire et du Tibet, tandis que le point le moins accessibles est situé dans le sud-est du Pacifique, non loin de l'Ile de Pâques (Tableau 1). Les amateurs de science occultes et les admirateurs d'Umberto Ecco verront sans doute quelque symbole dans la localisation de ces points hautement symboliques.
Tableau 1 : Valeurs maximum et minimum d'accessibilité démographique et économique à la surface de la terre vers 1990
Distance orthodromique moyenne à … | ||
(situation vers 1990) | la population mondiale | La richesse mondiale |
Point
d'accessibilité
maximum |
5150 km |
5600 km |
Point
d'accessibilité
minimum |
14850 km |
14400 km |
Un examen plus général de la carte autorise quelques réflexions
rafraîchissantes sur la distribution des points les plus accessibles
de notre monde imaginaire (Tableau 2) . Sans être le nombril
du monde, Paris possède une bonne accessibilité démographique
(6950 km), comparable à celles de Tokyo (7100 km) ou de Tunis (6900
km), supérieure à celles de New-York (10050 km) ou de Mexico
(12050 km), mais inférieure à celles de Moscou (5950 km),
Hong-Kong (6150 km) ou Dehli (5200 km). Au demeurant, l'accessibilité
de Paris n'est guère supérieure à celle du Pôle
Nord (7250 km) qui apparaît beaucoup mieux loti que son homologue
antarctique (12750 km), lequel devance cependant plusieurs villes d'Amérique
du Sud telles que Sao-Paulo (12850km) ou Santiago du Chili (14400 km)…
Tableau 2 : Comparaison de l'accessibilité économique
et de l'accessibilité démographique mondiale de quelques
lieux vers 1990
Distance orthodromique moyenne en km à … | ||
(situation vers 1990) | la population mondiale | la richesse mondiale |
Pôles | ||
Pôle Nord |
|
|
Pôle Sud |
|
|
Europe | ||
Paris |
|
|
Berlin |
|
|
Moscou |
|
|
Amérique du Nord | ||
New-York |
|
|
Los-Angeles |
|
|
Vancouver |
|
|
Amérique Latine | ||
Mexico |
|
|
Sao-Paulo |
|
|
Santiago |
|
|
Afrique | ||
Le Cap |
|
|
Tunis |
|
|
Dakar |
|
|
Asie | ||
Dehli |
|
|
Hong-Kong |
|
|
Tokyo |
|
|
Océanie | ||
Sydney |
|
|
Hawaï |
|
|
Ile de Pâques |
|
|
Données utilisées : UNEP-GRID / Banque Mondiale | ||
Calculs effectués par G. Mounié (LMC-IMAG, Grenoble) |
On l'aura compris, tous ces résultats ne sont pas à prendre
trop au sérieux, compte tenu des hypothèses très fortes
qui sous-tendent l'interprétation des résultats
Carte 11 : Accessibilité démographique mondiale
au début des années 1990
source : UNEP-GRID |
Carte 12 : Accessibilité économique mondiale au
début des années 1990
source : UNEP-GRID & Banque Mondiale |
Cette nouvelle mesure d'accessibilité aboutit à une image toute différente des différentiels d'accessibilité, désormais clairement organisés selon un gradient Nord-Sud presque parfait. Le Tableau 1 montre que le point d'accessibilité économique maximale se situe en Europe, entre Norvège et Danemark, dans le détroit du Skagerrak (5600km) tandis que le point d'accessibilité économique minimale se situe quant à lui dans les 60e rugissants, aux confins de l'océan Pacifique et de l'océan glacial antarctique (14400 km).
Un réexamen du Tableau 2 montre un profond bouleversement
de la hiérarchie des accessibilités mondiales lorsque l'on
passe du critère démographique au critère économique.
Si certaines villes conservent à peu près la même accessibilité
pour les deux critères (Moscou, Tunis, Tokyo), d'autres voient leur
accessibilité s'améliorer fortement (New-York, Los Angeles,
Vancouver, Mexico, Paris, Berlin) ou se dégrader fortement (Dehli,
Hong-Kong, Tokyo, Sydney, Le Cap) lorsque l'on passe du critère
démographique au critère économique.
La Carte 14 qui présente la différence entre les accessibilités démographique et économique mondiale nous semble cependant beaucoup plus intéressante par rapport à la problématique de l'inégale répartition des richesses à l'échelle mondiale. Elle permet en effet de repérer les régions du monde qui, toute chose égale quant à leur niveau général d'accessibilité, sont relativement plus proches des régions les plus riches ou des régions les plus peuplées de la planète.
Le continent nord-américain apparaît ainsi beaucoup plus proche de l'ensemble de la richesse mondiale que de la population mondiale, donc moins soumis à une pression en faveur d'une redistribution possible des richesses que ne peuvent l'être l'Europe et le Japon dont les accessibilités démographiques et économiques sont sensiblement égales. C'est toutefois dans les terres émergées bordant l'océan indien que le déséquilibre entre l'accessibilité démographique et l'accessibilité économique apparaît le plus marqué puisque, à l'inverse de la situation nord-américaine, cet espace est à la fois cerné par des masses démographiques imposantes et éloigné des principaux foyers d'accumulation de la richesse à l'échelle mondiale.
Si l'on admet que la distance exerce unecertaine influence sur les flux potentiels de main d'oeuvre et de capitaux induits par les différentiels de richesse, une telle image permet de repérer l'existence de deux polarisations opposées qui définissent les tensions majeures à l'échelle planétaire. L'image proposée a toutefois l'inconvénient de se placer dans une perspective de redistribution globale des richesses entre l'ensemble des zones riches et pauvres de la planète et de ne pas prendre suffisamment en compte les portées spatiales plus limitées qui guident la plupart des mouvements de population et de capitaux.
Il convient donc de compléter cette analyse globale des différentiels
d'accessibilité
par une approche plus "régionale" des variations de la richesse
mondiale. .
Mais dans une perspective systémique plus large de nombreux géographes, notamment dans les pays anglo-saxons, ont étendu la notion de région à toute partition d'un système territoriale ou spatial de niveau N en unités pertinentes de niveau N-1, ce qui permet d'employer le terme de région à tous les niveaux d'analyse de l'espace humanisé et notamment à l'échelle mondiale. Un colloque sur les effets récents de la mondialisation a ainsi été intitulé de façon significative "L'intégration régionale dans le monde" (GEMDEV, 1994 et se propose de mettre en évidence les mouvements contradictoires à l'échelle mondiale d'intégration globale et d'émergence d'unités économiques ou politiques supranationales ou transnationales (ALENA, ASEAN, Union Européenne, ...). Comme le soulignent les organisateurs de ce colloque, globalisation et régionalisation définissent un couple dynamique qui est le moteur des réorganisation politiques et économiques à l'échelle planétaire. Après avoir cru un temps que le mouvement de globalisation de l'économie planétaire annonçait la "Fin de la géographie" (O'Brien) de nombreux économistes découvrent ou redécouvrent l'importance de la proximité spatiale dans les restructurations économiques, politiques et culturelles des Etats-nations (Sapir, Kruegman). La question de savoir s'il s'agit d'une étape transitoire d'un mouvement unificateur à l'échelle mondiale ou d'un nouvel équilibre appelé à se perpétuer demeure un objet de débat (Berthelot Y., in GEMDEV, 1994 : p. 16).
Mais il est certain qu'une approche régionale des mouvements
de capitaux et de population entre les Etats du Monde constitue une clé
indispensable pour comprendre les recompositions planétaires à
la fin du XXe siècle et que l'on ne peut se satisfaire ni d'une
approche traditionelle dans le cadre des Etats, ni d'une approche macroscopique
fondée sur des agrégats géographiques aussi vastes
que les continents ou les regroupements purement économiques des
Etats du monde en pays industrialisés, pays intermédiaires
et pays en voie de développement.
Les publications des Etats-Unis ou de la Banque Mondiale qui servent
de base à la plupart des recherches sur les inégalités
de richesse au niveau mondial sont établies sur la base du maillage
des Etats-Nation, éventuellement subdivisés en territoires
lorsque l'éloignement géographique et les conditions économiques
ou politiques le justifient. Les îles tropicales rattachées
politiquement aux grands Etats industrialisés de l'hémisphère
nord bénéficient ainsi, dans certains cas, d'un traitement
statistique séparé permettant de mettre en valeur l'originalité
de leur situation économique, sociale ou politique. Il en va de
même pour les territoires bénéficiant d'une autonomie
politique partielle ainsi que pour les espaces conflictuels dont la souveraineté
est contesté par plusieurs Etats-nation.
Mais par delà ces subdivisions mineures, les publications officielles ne fournissent aucun renseignement sur les inégalités très réelles de répartition de la richesse à l'intérieur des Etats et imposent la fiction d'une homogénéité territoriale des niveaux de vie à l'intérieur des frontières nationales et l'illusion conjointe de discontinuités brutales des conditions de vie lors du franchissement des limites de souveraineté. Que de telles discontinuités puissent exister en de nombreux points de la planète ne fait guère de doute (e.g. Etats-Unis/Mexique), mais il est difficile d'en apprécier la portée exacte en l'absence d'informations plus précises sur les valeurs locales du gradient de richesse de part et d'autre des frontières où ces phénomènes se produisent. En outre, les conséquences d'une discontinuité économique transfrontalière n'auront pas les mêmes conséquences politiques et sociales selon qu'elles concernent une région densément peuplée de part et d'autre, un espace inhabité ou bien (cas sans doute le plus sensible politiquement) un espace ou la discontinuité économique est redoublée par une discontinuité de la densité d'occupation humaine. Le cas de la vallée de l'Amour (confins de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord) est un cas particulièrement symptomatique des tensions mais aussi des opportunités que peuvent créer de telles discontinuités, non seulement à l'échelle locale mais aussi à celle de l'ensemble des pays environnants (les investisseurs japonais jouent un rôle décisif dans les projets d'aménagement et de développement du bassin de l'Amour).
Une amélioration cartographique mineure, mais néanmoins utile de l'étude de la distribution des PNB par habitant consiste à ne représenter à l'intérieur des limites de chaque Etat que les régions où l'occupation humaine atteint un certain seuil. Les données de population fournit par la base UNEP-GRID constituent de ce point de vue un "masque" utile puisqu'elles permettent d'éliminer de l'analyse les carreaux de 1° de latitude ou de longitude dont la population est négligeable (Carte 15). Il est ainsi possible de repérer un certain nombre de discontinuités démographiques (Sahara, Himalaya) qui réduisent l'impact potentiel des différences de niveau de richesse entre les populations des pays situés de part et d'autre.
Les cartes obtenues (Cartes 16 à 18) ne doivent donc pas être conçues comme une visualisation de la distribution réelle des richesses par habitant (les redistributions demeurant largement limitée au cadre national) mais comme une simulation, un modèle des effets possibles d'une redistribution spatiale de proche en proche, cette redistribution pouvant être opérée soit à la faveur de mouvements de capitaux (aides ou investissement) des pays les plus riches vers les pays les plus pauves, soit au contraire de mouvements inverses de population (migrations) des populations des pays les plus pauvres vers les pays les plus riches. L'utilisation de portées spatiales de plus en plus importantes peut être considérée de ce point de vue comme une visualisation des étapes du processus de diffusion égalitaire de la richesse au cours d'une période de temps suffisamment longue pour que les effets se propagent dans l'espace de façon de plus en plus lointaine (les zones pauvres ayant bénéficié initialement de redistribution de la richesse des pays riches devenant à leur tour des foyers émetteurs vers des pays pauvres plus éloignés).
On remarquera que le lissage opéré par rapport de potentiel
ne correspond pas à une simple interpolation surfacique mais à
une véritable moyenne spatiale pondérée par le poids
des populations et des richesses concernées. Cela signifie que la
moyenne de deux Etats de superficie égale mais de population différente
n'aboutira pas à une moyenne simple des deux valeurs nationales
mais à une moyenne pondérée correspondant à
la fusion politique des population des deux Etats en une seule entité
de redistribution de la richesse. La désagrégation des populations
par carreaux de 1° de latitude et de longitude permet par ailleurs
de tenir compte des répartitions internes de la population et de
la richesse à l'intérieur de chaque Etat. Si une frontière
sépare deux Etats de densité différente, c'est celui
dont la population est localement la plus importante qui déterminera
le plus fortement la valeur moyenne du PNB par habitant dans la zone frontalière.
La valeur moyenne du PNB par habitant dans un voisinage gaussien de 500 km (Carte 16) peut donc être interprétée dans le cadre de ce modèle comme le résultat d'une première étape de redistribution qui concerne principalement les Etats pauvres immédiatement voisins d'Etats plus riches. Les redistributions s'opérant dans une bande dont la largeur est environ de 1000 km, elle ne produit guère d'effets à l'échelle des continents mais elle induit une première érosion des différences entre les Etats riches et pauvres qui possèdent une frontière commune où qui sont séparés par une étendue marine de faible dimension. La frontière américano-mexicaine, les rives nord et sud de la méditerranée, la mer du Japon et les abords du golfe Persique sont les principaux lieux où se manifestent des différences significatives par rapport à la distribution des valeurs nationales du PNB par habitant (Carte 15). L'effet de masse est clairement mis en évidence par l'érosion très forte du PNB par habitant des monarchies pétrolières du golfe Persique : bien que disposant d'un fort ratio de PNB per capita, les Etats pétroliers du golfe ne représente pas une masse de richesse très considérable si on la met en rapport avec l'importance des populations pauvres situées dans les Etats voisins (Egypte, Pakistan). A contrario, les masses de richesse localisées dans la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon) leurs permettent de modifier considérablement le niveau de richesse des Etats pauvres situés à proximité immédiate, sans pour autant connaître une érosion importante de leur niveau moyen de richesse par habitant. Les Etats riches mais géographiquement éloignés de toute zone pauvre fortement peuplée à cette échelle (Australie, Canada, Nouvelle Zélande) ne connaissent aucune modification particulière de leur niveau de richesse, tout comme, symétriquement, les Etats pauvres éloignés de tout foyer important de richesse (Inde, Afrique centrale).
La valeur moyenne du PNB par habitant dans des voisinages gaussien de 1000 km (Carte 17) et de 2000 km (Carte 18) permet de simuler les effets d'une diffusion spatiale beaucoup plus large de la richesse, à l'echelle des continents ou des sous-continents. Les pôles de richesse les moins importants par leur taille et les plus isolés à l'intérieur des pays pauvres (golfe Persique, Gabon, Hong Kong, Singapour) sont rapidement liquidés au profit d'un très léger accroissemnt de la richesse des zones circumvoisines tandis que les poches de pauvreté entourées de pays de niveau relativement plus élevés (Bolivie) voient leur situation s'améliorer quelque peu. Mais les effets les plus spectaculaire s'opèrent évidemment au contact des grandes masses de population riche ou de population pauvre qui bouleversent de façon opposée les valeurs moyennes de richesse par habitant des espaces moins denses qui les entourent. Le foyer de richesse ouest-européen connaît ainsi une forte déconcentration qui affaiblit la valeur moyenne de PNB par habitant dans sa zone centrale mais induit des relèvement considérables des niveaux dans l'ensemble de l'Afrique du Nord, du Proche-Orient et de l'Europe centrale et orientale. Il en va un peu différemment pour le foyer de richesse Japonais qui modifie fortement les valeurs de richesse moyenne par habitant dans les zones peu peuplées de l'extrême-orient soviétique mais qui exerce une influence sensiblement plus réduite sur les côtes orientales de la Chine où il rencontre des masses démographiques imposantes. Dans le cas nord-américain, l'effet de redistribution potentielle de la richesse des Etats-Unis se limite pour l'essentiel à l'Amérique centrale et aux Caraïbes en raison de l'importance des distances et du fait que le coeur du foyer de richesse nord-américain en volume demeure situé en position très septentrionale (Megalopolis, Grands Lacs). On remarquera enfin que l'Inde, foyer de pauvreté fortement peuplé, tend à réduire les valeurs moyennes de richesse de son environnement (Asie Centrale, Asie du Sud-Est) sans bénéficier en retour d'un relèvement substantiel de son propre niveau de vie. Il en va de même pour l'Afrique Centrale, également éloigné des foyers principaux d'accumulation de la richesse et ne bénéficiant que des contributions réduites du Nigéria, du Gabon et de l'Afriquer du Sud.
Tout en gardant à l'esprit le fait que le modèle proposé
se fonde sur des hypothèses utopiques de redistributions égalitaires
s'opérant sur le seul critère de la proximité spatiale
et tout en demeurant conscient que le PNB demeure une mesure criticable
de la richesse des nations, il n'en demeure pas moins frappant de constater
que la simulation proposée correspond dans de nombreux cas à
des phénomènes bien réels que l'on peut observer en
cartographiant les flux de capitaux et de main d'oeuvre. Il y a certes
de nombreuses exceptions qui contredisent le modèle proposé
(investissements ou migrations à longue distance, absence de relations
entre deux zones séparées par une discontinuité économique)
mais celui-ci demeure remarquablement proche des situations réelles,
surtout si l'on tient compte de la simplicité des hypothèses
qui ont présidé à sa mise en oeuvre et de la faible
quantité d'information introduite. On pourrait sans nul doute améliorer
ce premier modèle en le complexifiant (ajout d'autres critères
de mesure de la richesse, d'autres mesures de proximité que la simple
distance orthodromique), mais le niveau de performance du modèle
dans sa version la plus simple apparaît tout à fait remarquable
et augure bien des compléments qui pourraient lui être apporté.
On remarquera d'ailleurs que dans une perspective plus large, combinant
les non seulement les dimension économiques et démographiques,
mais aussi les dimensions géopolitiques et culturelles, le
modèle permet de repérer des lignes de tension ou de conflit
qui correspondent précisément à l'absence de relations
effectives (migrations, investissement) dans des zones où la proximité
spatiale les autoriserait. Les résidus du modèle (écart
entre les flux effectifs et les flux potentiels) apportent en effet des
informations tout aussi intéressantes que le modèle lui-même,
comme cela est généralement le cas en géographie (F.
Durand-Dastès, 1992).
Une première remarque, évidente sur le plan statistique, mais lourde de conséquence sur le plan théorique est le fait qu'un gradient peut être mesuré soit de façon absolue, soit de façon relative. Si l'on considère que le passage d'un PNB de 1000 $/hab à un PNB de 2000 $/hab induit les mêmes conséquences que le passage d'un PNB de 10000 $/hab à un PNB de 12000 $/hab., on optera pour une mesure de gradient absolu, c'est-à-dire une analyse des pentes de la surface lissée du PNB par habitant. Si l'on considère au contraire que c'est la différence relative des deux PNB par habitant qui compte (c'est-à-dire que le passage de 1000 à 2000 $/hab produit les mêmes effets que le passage de 10000 à 20000 $/hab.) on optera pour une mesure de gradient relatif, c'est-à-dire une analyse des pentes de la surface lissée du logarithme du PNB par habitant.
En comparant la valeur du PNB par habitant dans deux voisinages de portée différente (500 km et 2000 km) on peut par ailleurs définir les zones qui localement (voisinage de 500 km) sont plus riches ou moins riches que les espaces environnants (voisinage de 2000 km). Une zone sera donc considérée comme attractive pour les populations si son PNB local est plus élevée que celui de son environnement et émissive dans le cas contraire. L'indice retenu sera la différence logarithmique du PNB par habitant dans ces deux voisinages de 500 km et 2000 km afin de mettre en évidence l'importance des différences relatives plutôt que des différences absolue.
En combinant gradients et indices d'attractivité, on obtient
une carte qui constitue une bonne synthèse de l'ensemble des
observations précédentes et aboutit à une typologie
des tensions économiques ou politiques à l'échelle
mondiale qui semble tout à fait cohérente avec les observations
faites par les spécialistes d'économie et de géographie
politique (Carte 19).
Carte 19 : Relations potentielles liées à l'inégale
répartition de la richesse mondiale au début des années
1990
source : UNEP-GRID |
On remarquera que la typologie obtenue est fondée sur le choix
de comparée deux portées spatiales particulières (voisinage
de 500 km et 2000 km) et que nous avons jugé les plus pertinentes
dans une perspectives de différenciation régionale de la
planète. Mais les résultats auraient été sensiblement
modifiés si l'on avait utilisé deux seuils de portée
plus forte (e.g. 1000 et 4000 km) ou plus faible (e.g. 250 et 1000 km).
Dans le premier cas on aurait pu mettre en évidence des pôles
d'attraction ou d'émission de portée mondiale dont le nombre
aurait été sensiblement plus limité, et qui aurait
dessiné une image classique des relations nord-sud organisée
en trois grands fuseaux. Dans le second cas, on aurait fait apparaître
la géographie beaucoup plus complexe des attractivités transfrontalières
et le nombre de pôles attractifs ou émissifs aurait été
beaucoup plus élevé qu'il ne l'est sur l'image retenue.
"C'est par un nouveau projet que les sociétés vont pouvoir mobiliser les extraordinaires richesses accumulées depuis trente ans (mais qui ne profitent encore, comme le montrent les publications du PNUD, qu'à 20% de la population du globe) et en redistribuer les bénéfices selon un idéal d'équité qui est sans cesse maltraité bien qu'incontournable".
Dollfus O, Le Roy E., GEMDEV, 1994.
S'il est vrai que les sciences sociales produisent des réalités
possibles autant qu'elles ne décrivent une réalité
présente, l'exercice de modélisation auquel nous nous
sommes livré n'aura peut-être pas été totalement
inutile. Car il propose une simulation, utopique certes, mais revendiquée
comme telle, des conditions spatiales dans lesquelles un rééquilibrage
de la distribution des richesses pourrait s'opérer à l'échelon
mondial sous le double effet des mouvements de population et des transferts
de capitaux. Comme l'ont écrit O. Dollfus et E. Le Roy en conclusion
d'un séminaire du GEMDEV :
Il serait certes aventureux de considérer que la proximité spatiale suffit à décrire de façon satisfaisante les canaux par lesquelles de nouveaux équilibres pourraient se constituer dans le futur. Mais un certain nombre de simulations proposées sont suffisamment proches des dynamiques actuellement observées à la surface de notre planète pour que l'on puisse considérer que nous ne sommes pas encore entrés dans l'ère post-géographique décrite par J. Lévy (***).
Du point de vue du géographe qui est le nôtre, nous auront
à tout le moins essayer d'apporter une contribution à la
constitution des utopies qui pourraient aider à tracer les contours
d'un monde meilleur. Mais si nous voulons que les utopies d'aujourd'hui
deviennent les réalités de demain, il faut travailler sans
relâche à les rendre plus crédibles. Aussi nous émettons
le voeux que d'autres chercheurs en science sociale, économistes,
sociologues ou spécialistes de science politiques puissent nous
aider à améliorer une première esquisse que beaucoup
jugeront à juste titre par trop naïve.