D. UN MONDE SANS FRONTIERES

D.4 Analyse "sans frontière" de la consomation d'énergie et de la production de gaz à effets de serre

Licence de géographie
Université Paris VII - 1999-2000
Claude GRASLAND

INTRODUCTION

Les questions environnementales font sans nul doute partie des problèmes du monde contemporain qui se prêtent le mieux à une analyse "sans frontière", voire qui exigent une analyse de ce type, dans la mesure où, par leur nature même, elles sont rarement confinées à une aire géographique délimitées par des frontières politiques (circulation atmosphérique des gaz à effets de serre, transfert des pollutions marines par les courants marins, élimination irréversible d'espèces vivantes faisant partie du patrimoine mondial, etc.).

Dans le temps imparti, il n'est pas possible de brosser, même de façon superficielle, un tableau des interactions qui unissent les différentes questions environnementales et la dynamique actuelle de mondialisation. On se bornera donc à examiner un exemple particulièrement symptomatique du problème : celui de la distribution des gaz à effets de serre et de la consommation d'énergie à l'échelle mondiale.
 

D.4.1. DISTRIBUTION DES EMISSIONS DE CO2

Reprenant la méthodologie d'analyse multiscalaire développée dans les parties précédentes de ce chapitre, on peut tout d'abord tenter de cartographier la distribution mondiale des émissions de gaz carbonique vers 1990, afin d'examiner où se localisent les principaux centres d'émissions de polluants à la surface de la terre.
 
Carte 1 : Potentiel de  production de CO2 vers 1990 (voisinage de 1000 km)
Carte 2 : Potentiel de population vers 1900 (voisinage de 1000 km)
Carte 3 : Potentiel de richesse vers 1990 (voisinage de 1000 km)

La comparaison des trois cartes montre que la distribution mondiale de la production de CO2 semble plus proche de celle de la richesse mondiale que de celle de la population mondiale. Ce résultat ne fait que restituer le fait que, la production de CO2 dépend davantage de l'activité économique des populations (industrie, transport) et de leurs exigences en matière de confort (chauffage, appareils electriques) que de leur simple effectif.

Il existe donc un lien très net entre la production moyenne de gaz carbonique et la richesse des habitants. Alors que les habitants d'Afrique tropicale ou d'Inde produisent moins d'une tonne de gaz carbonique par habitant et par an, les habitants des Etats-Unis produisent près de 20 t/hab/an. Si la carte du ratio CO2/Population (Carte 4) rappelle a bien des égards celle du PNB par habitant, elle n'en diffère pas moins de façon significative sur de nombreux points. Bien que faible (2.5 t/ habitant), le taux de production de CO2 de la Chine est tout de même trois fois plus élevé que celui de l'Inde alors que les deux pays affichent des PNB assez voisins. De la même manière, le taux de production de CO2 des pays d'Europe de l'Ouest ou du Japon est deux à trois fois faible que celui des Etats-Unis et sensiblement inférieur à celui de la Russie dont l'économie est pourtant moins développée.
 
 
Carte 4 : ratio CO2 / Population  vers 1990 (voisinage de 1000 km)
Carte 5 : ratio CO2 / PNB vers 1990 (voisinage de 1000 km)

Le rapport entre la quantité de gaz carbonique et la richesse des habitants (Carte 5) permet donc une appréciation différente de la localisation des pays pollueurs en fournissant une mesure de l'efficacité écologique des systèmes économiques. Exprimé en kilogrammes de CO2 par dollars de richesse produite, ce nouvel indicateur met en évidence l'importance de la pollution engendré par les systèmes de production des pays d'industrialisation récente, surtout lorsque cette industrialisation est fondée sur l'exploitation de ressources charbonnières (Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). L'Europe, le Japon et l'Amérique du Sud sont les zones du monde où la production de richesse entraîne la production la plus faible de CO2.

Ces résultats sont toutefois à analyser de façon très critique car de nombreux pays industrilaisés "exportent" leur pollution vers des pays émergents. Le fait d'avoir utilisé le PNB plutôt que le PIB dans le calcul du rapport précédent.conduit par ailleurs à sous-estimer la pollution produite sur le territoire de pays ayant de fortes capacités d'investissement externe puisque le PNB rapporte la richesse au lieu d'accumulation et non pas au lieu de production.
 

D.4.2 DISTRIBUTION DE LA CONSOMMATION MONDIALE D'ENERGIE

La production de gaz à effet de serre (notamment de CO2) est largement liée à la consommation d'énergie qui constitue une mesure beaucoup plus synthétique de l'ensemble des facteurs susceptibles de contribuer à la dégradation de l'environnement.
 

Distribution mondiale de la consommation d'énergie vers 1990

Exprimée en tonnes d'équivalent pétrole par année, la consommation d'énergie est un indicateur synthétique d'interprétation relativement délicate puisqu'il est le résultat d'un grand nombre de facteurs : confort individuel (chauffage des habitations, cuisson des aliments, appareils électriques), transports (de personnes ou de marchandises), équipements collectifs (éclairage urbain), activité industrielle (production et transformation de biens), efficacité du système productif, etc. Dans la mesure où tous ces facteurs interagissent de façon variée à la surface de la terre, il est difficile de trouver des principes explicatifs généraux aux inégalités de conosmmation d'énergie par habitant que l'on peut observer à la surface de la Terre. Ainsi le très fort niveau de consomation d'énergie par habitant des Etats-Unis est liée pour une large part à l'importance exceptionnelle des transports individuels tandis que celui des pays scandinaves est plus spécifiquement influencé par les conditions climatiques (hivers longs et rigoureux) et que ces deux effets se combinent dans le cas du Canada... Le coût de l'énergie, sa disponibilité at les revenus des habitants exercent également une influence considérable sur les consommations individuelles :  les pays où l'énergie est abondante et bon marché ont souvent été par le passé de très gros consommateurs de ressources énergétiques, avec pour conséquence fréquente un gaspillage de ressources et des pollutions massives du milieu naturel (e.g. pluies acides)
 
 
Carte 6 : Potentiel de consommation d'énergie vers 1990 (dans un voisinage de 1000 km)
Carte 7 : Potentiel de population vers 1900 (dans un voisinage  de 1000 km)
Carte 8 : Potentiel de richesse vers 1990 (dans un voisinage de 1000 km)

L'examen de la carte du potentiel de consommation d'énergie dans un voisinage de 1000 kilomètres (Carte 6) montre toutefois que, malgré la complexité des facteurs enchevêtrés susceptibles de rendre compte des consommations énergétiques, c'est bel et bien la puissance économique qui constitue le facteur décisif. Les principaux foyers de consommation d'énergie à la surface de la terre (Etats-Unis, Europe, Chine-Japon-Corée suivis d'assez loin par les ensembles  Argentine-Brésil, Afrique du Sud et Australie-Nouvelle Zélande) correspondent bien davantage à la distribution mondiale de la richesse (Carte 8) qu'à celle de la population (Carte 7). La consommation d'énergie augmente donc globalement avec la richesse des populations même si, dans le détail, on peut repérer un certain nombre d'écarts positifs ou négatifs à la règle générale.
 

Variation de la consommation d'énergie en fonction du nombre d'habitant et de la richesse produite.

Le calcul d'un taux de consommation d'énergie par habitant (Carte 9)  ou par unité de richesse produite (Carte 10) permet de préciser les variations de l'intensité de la consommation d'énergie des différentes sociétés.
 
Carte 9 : Consommation d'énergie par habitant vers 1990 (voisinage de 1000 km)
Carte 10 : Consommation d'énergie rapportée à la richesse produite vers 1990  (voisinage de 1000 km)

La consommation d'énergie par habitant s'établissait vers 1990 à un niveau moyen d'environ 1500 kg d'équivalents pétrole par habitant et par an pour l'ensemble du Monde. Mais ce niveau moyen n'a guère de signification dans la mesure où les niveaux locaux de consommation varient dans un rapport de 1 à 50 voire de 1 à  100 entre les pays les plus pauvres (moins de 0.25 Tep/hab/an en Afrique centrale et orientale) et les pays les plus riches (plus de 16 Tep/ hab/an aux Etats-Unis). L'examen détaillé de la Carte 4 montre toutefois que la relation entre richesse et consommation d'énergie par habitant est loin d'être parfaite et que les pays d'Europe de l'Ouest (Scandinavie exceptée) ont des niveaux de consommation d'énergie qui ne sont guère supérieurs à ceux de pays moins développés tels que l'Afrique du Sud ou le Vénézuéla et inférieurs à celui de la Russie.

La consommation d'énergie par unité de richesse produite (Carte 9) présente certes des contrastes moins accusés que la précédente (rapports de 1 à 5 ou de 1 à 10 entre les Etats ayant le plus faible et le plus fort ratio) mais elle met toutefois bien en évidence la sur-consommation énergétique de la Russie et, dans une moindre mesure, de l'Europe de l'Est, de la Chine, de l'Inde, de l'Afrique du Sud et de certains états du golfe persique. A contrario, l'Europe de l'Ouest et  le Japon,  mais aussi l'Afrique occidentale et l'Amérique du Sud, se caractérisent par des systèmes sociaux ou industriels relativement "économes" en matière de conosmmation énergétique. L'Amérique du Nord et le reste du monde se situent quant à eux en position intermédiaire pour le critère considéré.
 

Consommation d'énergie et pollution atmosphérique


S'il est difficile de démêler les facteurs imbriqués qui conditionnent le niveau de consommation énergétique des différentes sociétés à l'échelle mondiale, il est beaucoup plus simple d'analyser les conséquences du niveau de consommation énergétique en matière environnementale. En effet, comme nous le verrons au chapitre suivant (Cf. ***) il existe une corrélation très étroite entre la distribution des grands foyers de consommation d'énergie et celle des grands foyers d'émission de gazs à effets de serre, notamment de CO2.

Ce lien inévitable résulte du fait que la majorité de la production mondiale d'énergie demeure liée à la combustion de ressources fossiles (charbon, gaz, pétrole) et la part de l'énergie atomique, réputée plus "propre", ne s'accroît que très lentement voire régresse dans plusieurs parties du monde en raison de la baisse durable des cours du pétrole et de l'absence de solution parfaitement satisfaisante pour le recyclage des déchets nucléaire.
 

C.3.3 MONDIALISATION ET ENJEUX ECOLOGIQUES

Lors des conférences de Rio et de Kyoto, de nombreux représentants des pays du tiers-monde ou des pays industriels émergents ont accusé les pays industrialisés de vouloir freiner leur développement économiques en leur imposant des contraintes écologiques coûteuses et ils ont revendiqué un "droit à polluer" comparable à celui dont les pays industrialisés ont pu bénéficier en toute impunité au cours du dernier siècle. Si cette revendication a été généralement admise et prise en compte par les pays industrialisés (qui s'engagent à fournir le plus gros effort en matière de réduction des gazs à effets de serre dans les années à venir), il n'en demeurent pas moins une contradiction préoccupante entre la nécessité impérieuse de freiner rapidement le développement des pollutions atmosphériques dans l'ensemble des pays du monde et la volonté de chacun des Etats qui constitue le système-monde de ne pas freiner leur propre développement industriel et économique.

L'approche libérale défendue par les Etats-Unis propose d'attribuer à chaque pays un quota de "droits de pollution" qui pourraient être échangés ou  vendus sur le marché mondial. Un pays riche ne souhaitant pas respecter le rythme de réduction des émissions de gaz à effets de serre auquel il s'est engagé pourrait ainsi racheter les droits à polluer de pays plus pauvre dont le système productif est en deça du quota qui leur a été attribué. A peine moins cynique, l'approche défendue par le Japon consiste à réduire les contraintes imposées aux pays développés pollueurs lorsqu'ils contribuent au développement d'industries non polluantes dans les pays émergents par des investissements dans de nouvelles technologies plus respectueuses de l'environnement.

Intérêts économiques à court terme, enjeux géopolitiques à long terme, conflits d'experts scientifiques  ... les débats entourant la question des gazs à effets de serre sont, on le voit,  loin d'être clos. Il n'en demeure pas moins que de crises en conflits, de négociations en arbitrages, se met progressivement en place une reflexion mondiale sur la question du développement durable et plus discrètement, une interrogation sur la nécessaire mise en place d'une société mondiale. Comme l'écrit justement O. Dollfus : "Au XXIe siècle, les négociations autour de la diminution des gaz à effets de serre seront centrales pour la diplomatie qui ne sera plus le seul monopole des Etats [...] La prise en compte de l'écosystème terrestre comme un bien commun, partagé, de l'humanité, devrait être l'une des voies accélérant le passage des sociétés mondialisées vers une société mondiale".Pour autant, la mise en place d'une démocratie mondiale autour des questions d'environnement se heurtera à de nombreuses difficultés, tant les enjeux économiques et géopolitiques traversent ces questions pourtant vitales pour l'avenir de l'humanité (Cf. Encadré n°1)

Encadré n°1 : PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITE ET GEOPOLITIQUE DE L'ENVIRONNEMENT
Apparaissent d'autres notions environnementales à visée ou prétention mondiale, comme celles de patrimoine naturel commun de 'humanité. Notion souple et extensive, à contours flous car l'espace terrestre possède un certain nombre de « richesses naturelles », rares ou menacées, qui, appartenant à tous, doivent être protégées. Il peut s'agir d'espèces animales, d'étendues de la biosphère que l'on met en réserve. Comme souvent on protège mieux une ou plusieurs espèces en « sanctuarisant » leur territoire, on délimite des « parcs » gardés, protégés, par- fois contre leurs habitants qui seraient les derniers témoins d’une « nature en voie de disparition ». Aussi tout Etat qui veut acquérir un brevet de protecteur de la nature crée des parcs et des réserves, parfois avec l'aide ou à l'initiative d'ONG comme le WWF ou d'institutions internationales comme l'UNESCO ou le PNUE. Au nom de la sauvegarde du patrimoine mondial, on commence à pratiquer l'ingérence écologique : programme de protection des forêts tropicales menacées, interventions sur les gouvernements considérés, souvent à raison, comme responsables de destructions rapides de milieux, comme le gouvernement brésilien pour l'Amazonie, les gouvernements de Malaysia et d'Indonésie qui mettent à l'encan leurs forêts aux profits de sociétés généralement japonaises. Propositions de transformer une partie de la dette des Etats en programme de protection comme pour le Pantanal entre le Brésil et la Bolivie. 

        Dans ce champ de forces qu'est l'espace Monde, les problèmes d'environnement pèsent chaque jour davantage. Ils en montrent l'unité avec la question de la production de gaz à effet de serre ou celle de la diversité biologique même si elle reste mal définie et qu'un très grand nombre d'espèces d'invertébrés et de plantes ne sont pas connues. Ils posent d'intéressantes questions sur le droit qu'un propriétaire privé, une collectivité ou un État peuvent avoir sur un bien naturel, décrété par d'autres comme rare ou menacé. Naît ainsi à partir de la notion de patrimoine commun de l'humanité, une sorte de droit mondial de l'environnement qui peut, dans certains cas, se traduire par des actions d'ingérence écologique pour faire respecter ce droit et les biens qu'il couvre. 

       Il est normal que les intérêts divergents, les oppositions, s'affirment - pourquoi, là, maintenant, s'opposer à ce qui a été fait ailleurs, dans le passé. Pourquoi, disent les Chinois, nous empêcher de consommer du charbon qui a fait la force de la révolution industrielle européenne ? Pourquoi préférer la consommation de l'herbe et des feuilles des savanes par les éléphants que de laisser les pasteurs Masaï les faire brouter par leurs troupeaux ? 

        Il est normal que le champ de l'environnement mondial soit traversé de conflits d'intérêts. Par suite de la mondialisation de l'information et d'une certaine sensibilité organisée par les antennes de Green Peace et autres associations, les défenseurs les plus vigoureux de certains animaux n'ont jamais eu l'occasion de connaître les espèces qu'ils défendent. En France les défenseurs de l'ours, à quelques exceptions près, n'en ont jamais vu à « l'état sauvage », c'est par l'image et l'imagination que se nourrissent des combats écologiques. Des questions décisives pour l'avenir (problème du réchauffement) ne peuvent être ressenties directement par les individus. Les experts et les modèles ne s'accordent pas. L'incertitude quant à l'ampleur du phénomène, ses échéances, ne permettent aucune affirmation définitive et absolue. Et pourtant, devant le risque potentiel pour une humanité dont l'horizon doit être celui des siècles à venir, les gouvernements à qui incombent des prises de décisions qui peuvent être contraignantes pour des industries ou des modes de vie, doivent choisir. Dans le débat interviennent aussi les politiques économiques, la puissance des firmes qui possèdent brevets et avantages technologiques comme c'est le cas pour les fréons avec la Du Pont de Nemours. 

       Ainsi, à toutes les échelles et traversant les sociétés, les questions environnementales montent dans l'espace Monde comme enjeux entre Etats, entre ceux du Nord, ceux du Nord et du Sud, entre groupes industriels. D'autant plus que la fin de la bipolarisation libère, peut- être à tort, l'humanité de la peur de l'hiver nucléaire.

Dollfus O., 1994, L’Espace Monde, Géo Poche, Economica, pp. 42-44
 

CONCLUSION

Pour succinte qu'elle soit, cette analyse de la production mondiale de CO2 et de la consommation mondiale d'énergie montre bien les tensions et les enjeux cruciaux que posent les questions environnementales à l'humanité, ainsi que les enjeux politiques et économiques qui sous-tendent la mise en place d'une politique de développement durable à l'échelon mondial.
 

Pour en savoir plus, les étudiants sont vivement incités à consulter les nombreux rapports produits par les différents organismes des Nations Unies sur les questions de l'environnement et du développement durable. On signalera en particulier deux rapports accessibles sur Internet dans une forme abrégée ou détaillée :

GEO-1 (Global Environment Outlook-1) : Ce rapport bisannuel produit par l'UNEP et dont la première livraison date de 1997 tente de brosser un tableau complet des questions environnementales à l'échelle mondiale, tableau complété par des études plus détaillées sur certains thèmes ou sur certaines aires continentales ou sous-continentales.

SDIS (Sustainable Development Information Service) : Le site internet du WRI (World Research Institute) comporte une documentation très abondante sur la question du développement durable à l'échelle planétaire.
 

Chacun de ces deux sites internet comporte l'adresse de nombreux liens vers les autres agences privées ou publiques, nationales ou internationales, engagées dans la recherche sur les questions environnementales à l'échelon mondial.