Licence de géographie
Université Paris VII - 1999-2000
Claude GRASLAND
INTRODUCTION
Les questions environnementales font sans nul doute partie des problèmes du monde contemporain qui se prêtent le mieux à une analyse "sans frontière", voire qui exigent une analyse de ce type, dans la mesure où, par leur nature même, elles sont rarement confinées à une aire géographique délimitées par des frontières politiques (circulation atmosphérique des gaz à effets de serre, transfert des pollutions marines par les courants marins, élimination irréversible d'espèces vivantes faisant partie du patrimoine mondial, etc.).
Dans le temps imparti, il n'est pas possible de brosser,
même de façon superficielle, un tableau des interactions qui
unissent les différentes questions environnementales et la dynamique
actuelle de mondialisation. On se bornera donc à examiner un exemple
particulièrement symptomatique du problème : celui de la
distribution des gaz à effets de serre et de la consommation d'énergie
à l'échelle mondiale.
La comparaison des trois cartes montre que la distribution mondiale de la production de CO2 semble plus proche de celle de la richesse mondiale que de celle de la population mondiale. Ce résultat ne fait que restituer le fait que, la production de CO2 dépend davantage de l'activité économique des populations (industrie, transport) et de leurs exigences en matière de confort (chauffage, appareils electriques) que de leur simple effectif.
Il existe donc un lien très net entre la production moyenne de
gaz carbonique et la richesse des habitants. Alors que les habitants d'Afrique
tropicale ou d'Inde produisent moins d'une tonne de gaz carbonique par
habitant et par an, les habitants des Etats-Unis produisent près
de 20 t/hab/an. Si la carte du ratio CO2/Population (Carte 4) rappelle
a bien des égards celle du PNB par habitant, elle n'en diffère
pas moins de façon significative sur de nombreux points. Bien que
faible (2.5 t/ habitant), le taux de production de CO2 de la Chine est
tout de même trois fois plus élevé que celui de l'Inde
alors que les deux pays affichent des PNB assez voisins. De la même
manière, le taux de production de CO2 des pays d'Europe de l'Ouest
ou du Japon est deux à trois fois faible que celui des Etats-Unis
et sensiblement inférieur à celui de la Russie dont l'économie
est pourtant moins développée.
Carte 4 : ratio CO2 / Population vers 1990
(voisinage de 1000 km)
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Carte 5 : ratio CO2 / PNB vers 1990 (voisinage
de 1000 km)
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Le rapport entre la quantité de gaz carbonique et la richesse des habitants (Carte 5) permet donc une appréciation différente de la localisation des pays pollueurs en fournissant une mesure de l'efficacité écologique des systèmes économiques. Exprimé en kilogrammes de CO2 par dollars de richesse produite, ce nouvel indicateur met en évidence l'importance de la pollution engendré par les systèmes de production des pays d'industrialisation récente, surtout lorsque cette industrialisation est fondée sur l'exploitation de ressources charbonnières (Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). L'Europe, le Japon et l'Amérique du Sud sont les zones du monde où la production de richesse entraîne la production la plus faible de CO2.
Ces résultats sont toutefois à analyser de façon
très critique car de nombreux pays industrilaisés "exportent"
leur pollution vers des pays émergents. Le fait d'avoir utilisé
le PNB plutôt que le PIB dans le calcul du rapport précédent.conduit
par ailleurs à sous-estimer la pollution produite sur le territoire
de pays ayant de fortes capacités d'investissement externe puisque
le PNB rapporte la richesse au lieu d'accumulation et non pas au lieu de
production.
L'examen de la carte du potentiel de consommation d'énergie dans
un voisinage de 1000 kilomètres (Carte 6) montre toutefois
que, malgré la complexité des facteurs enchevêtrés
susceptibles de rendre compte des consommations énergétiques,
c'est bel et bien la puissance économique qui constitue le facteur
décisif. Les principaux foyers de consommation d'énergie
à la surface de la terre (Etats-Unis, Europe, Chine-Japon-Corée
suivis d'assez loin par les ensembles Argentine-Brésil, Afrique
du Sud et Australie-Nouvelle Zélande) correspondent bien davantage
à la distribution mondiale de la richesse (Carte 8) qu'à
celle de la population (Carte 7). La consommation d'énergie
augmente donc globalement avec la richesse des populations même si,
dans le détail, on peut repérer un certain nombre d'écarts
positifs ou négatifs à la règle générale.
Carte 9 : Consommation d'énergie par habitant
vers 1990 (voisinage de 1000 km)
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Carte 10 : Consommation d'énergie rapportée
à la richesse produite vers 1990 (voisinage de 1000 km)
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La consommation d'énergie par habitant s'établissait vers 1990 à un niveau moyen d'environ 1500 kg d'équivalents pétrole par habitant et par an pour l'ensemble du Monde. Mais ce niveau moyen n'a guère de signification dans la mesure où les niveaux locaux de consommation varient dans un rapport de 1 à 50 voire de 1 à 100 entre les pays les plus pauvres (moins de 0.25 Tep/hab/an en Afrique centrale et orientale) et les pays les plus riches (plus de 16 Tep/ hab/an aux Etats-Unis). L'examen détaillé de la Carte 4 montre toutefois que la relation entre richesse et consommation d'énergie par habitant est loin d'être parfaite et que les pays d'Europe de l'Ouest (Scandinavie exceptée) ont des niveaux de consommation d'énergie qui ne sont guère supérieurs à ceux de pays moins développés tels que l'Afrique du Sud ou le Vénézuéla et inférieurs à celui de la Russie.
La consommation d'énergie par unité de richesse produite
(Carte 9) présente certes des contrastes moins accusés
que la précédente (rapports de 1 à 5 ou de 1 à
10 entre les Etats ayant le plus faible et le plus fort ratio) mais elle
met toutefois bien en évidence la sur-consommation énergétique
de la Russie et, dans une moindre mesure, de l'Europe de l'Est, de la Chine,
de l'Inde, de l'Afrique du Sud et de certains états du golfe persique.
A contrario, l'Europe de l'Ouest et le Japon, mais aussi l'Afrique
occidentale et l'Amérique du Sud, se caractérisent par des
systèmes sociaux ou industriels relativement "économes" en
matière de conosmmation énergétique. L'Amérique
du Nord et le reste du monde se situent quant à eux en position
intermédiaire pour le critère considéré.
S'il est difficile de démêler les facteurs imbriqués
qui conditionnent le niveau de consommation énergétique des
différentes sociétés à l'échelle mondiale,
il est beaucoup plus simple d'analyser les conséquences du niveau
de consommation énergétique en matière environnementale.
En effet, comme nous le verrons au chapitre suivant (Cf. ***) il existe
une corrélation très étroite entre la distribution
des grands foyers de consommation d'énergie et celle des grands
foyers d'émission de gazs à effets de serre, notamment de
CO2.
Ce lien inévitable résulte du fait que la majorité
de la production mondiale d'énergie demeure liée à
la combustion de ressources fossiles (charbon, gaz, pétrole) et
la part de l'énergie atomique, réputée plus "propre",
ne s'accroît que très lentement voire régresse dans
plusieurs parties du monde en raison de la baisse durable des cours du
pétrole et de l'absence de solution parfaitement satisfaisante pour
le recyclage des déchets nucléaire.
L'approche libérale défendue par les Etats-Unis propose d'attribuer à chaque pays un quota de "droits de pollution" qui pourraient être échangés ou vendus sur le marché mondial. Un pays riche ne souhaitant pas respecter le rythme de réduction des émissions de gaz à effets de serre auquel il s'est engagé pourrait ainsi racheter les droits à polluer de pays plus pauvre dont le système productif est en deça du quota qui leur a été attribué. A peine moins cynique, l'approche défendue par le Japon consiste à réduire les contraintes imposées aux pays développés pollueurs lorsqu'ils contribuent au développement d'industries non polluantes dans les pays émergents par des investissements dans de nouvelles technologies plus respectueuses de l'environnement.
Intérêts économiques à court terme, enjeux géopolitiques à long terme, conflits d'experts scientifiques ... les débats entourant la question des gazs à effets de serre sont, on le voit, loin d'être clos. Il n'en demeure pas moins que de crises en conflits, de négociations en arbitrages, se met progressivement en place une reflexion mondiale sur la question du développement durable et plus discrètement, une interrogation sur la nécessaire mise en place d'une société mondiale. Comme l'écrit justement O. Dollfus : "Au XXIe siècle, les négociations autour de la diminution des gaz à effets de serre seront centrales pour la diplomatie qui ne sera plus le seul monopole des Etats [...] La prise en compte de l'écosystème terrestre comme un bien commun, partagé, de l'humanité, devrait être l'une des voies accélérant le passage des sociétés mondialisées vers une société mondiale".Pour autant, la mise en place d'une démocratie mondiale autour des questions d'environnement se heurtera à de nombreuses difficultés, tant les enjeux économiques et géopolitiques traversent ces questions pourtant vitales pour l'avenir de l'humanité (Cf. Encadré n°1)
Encadré n°1 : PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITE ET GEOPOLITIQUE DE L'ENVIRONNEMENT
Apparaissent d'autres notions
environnementales à visée ou prétention mondiale,
comme celles de patrimoine naturel commun de 'humanité. Notion souple
et extensive, à contours flous car l'espace terrestre possède
un certain nombre de « richesses naturelles », rares ou menacées,
qui, appartenant à tous, doivent être protégées.
Il peut s'agir d'espèces animales, d'étendues de la biosphère
que l'on met en réserve. Comme souvent on protège mieux une
ou plusieurs espèces en « sanctuarisant » leur territoire,
on délimite des « parcs » gardés, protégés,
par- fois contre leurs habitants qui seraient les derniers témoins
d’une « nature en voie de disparition ». Aussi tout Etat qui
veut acquérir un brevet de protecteur de la nature crée des
parcs et des réserves, parfois avec l'aide ou à l'initiative
d'ONG comme le WWF ou d'institutions internationales comme l'UNESCO ou
le PNUE. Au nom de la sauvegarde du patrimoine mondial, on commence à
pratiquer l'ingérence écologique : programme de protection
des forêts tropicales menacées, interventions sur les gouvernements
considérés, souvent à raison, comme responsables de
destructions rapides de milieux, comme le gouvernement brésilien
pour l'Amazonie, les gouvernements de Malaysia et d'Indonésie qui
mettent à l'encan leurs forêts aux profits de sociétés
généralement japonaises. Propositions de transformer une
partie de la dette des Etats en programme de protection comme pour le Pantanal
entre le Brésil et la Bolivie.
Dans ce champ de forces qu'est l'espace Monde, les problèmes d'environnement pèsent chaque jour davantage. Ils en montrent l'unité avec la question de la production de gaz à effet de serre ou celle de la diversité biologique même si elle reste mal définie et qu'un très grand nombre d'espèces d'invertébrés et de plantes ne sont pas connues. Ils posent d'intéressantes questions sur le droit qu'un propriétaire privé, une collectivité ou un État peuvent avoir sur un bien naturel, décrété par d'autres comme rare ou menacé. Naît ainsi à partir de la notion de patrimoine commun de l'humanité, une sorte de droit mondial de l'environnement qui peut, dans certains cas, se traduire par des actions d'ingérence écologique pour faire respecter ce droit et les biens qu'il couvre. Il est normal que les intérêts divergents, les oppositions, s'affirment - pourquoi, là, maintenant, s'opposer à ce qui a été fait ailleurs, dans le passé. Pourquoi, disent les Chinois, nous empêcher de consommer du charbon qui a fait la force de la révolution industrielle européenne ? Pourquoi préférer la consommation de l'herbe et des feuilles des savanes par les éléphants que de laisser les pasteurs Masaï les faire brouter par leurs troupeaux ? Il est normal que le champ de l'environnement mondial soit traversé de conflits d'intérêts. Par suite de la mondialisation de l'information et d'une certaine sensibilité organisée par les antennes de Green Peace et autres associations, les défenseurs les plus vigoureux de certains animaux n'ont jamais eu l'occasion de connaître les espèces qu'ils défendent. En France les défenseurs de l'ours, à quelques exceptions près, n'en ont jamais vu à « l'état sauvage », c'est par l'image et l'imagination que se nourrissent des combats écologiques. Des questions décisives pour l'avenir (problème du réchauffement) ne peuvent être ressenties directement par les individus. Les experts et les modèles ne s'accordent pas. L'incertitude quant à l'ampleur du phénomène, ses échéances, ne permettent aucune affirmation définitive et absolue. Et pourtant, devant le risque potentiel pour une humanité dont l'horizon doit être celui des siècles à venir, les gouvernements à qui incombent des prises de décisions qui peuvent être contraignantes pour des industries ou des modes de vie, doivent choisir. Dans le débat interviennent aussi les politiques économiques, la puissance des firmes qui possèdent brevets et avantages technologiques comme c'est le cas pour les fréons avec la Du Pont de Nemours. Ainsi, à toutes les échelles et traversant les sociétés, les questions environnementales montent dans l'espace Monde comme enjeux entre Etats, entre ceux du Nord, ceux du Nord et du Sud, entre groupes industriels. D'autant plus que la fin de la bipolarisation libère, peut- être à tort, l'humanité de la peur de l'hiver nucléaire. Dollfus O., 1994, L’Espace Monde, Géo Poche, Economica,
pp. 42-44
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CONCLUSION
Pour succinte qu'elle soit, cette analyse de la production
mondiale de CO2 et de la consommation mondiale d'énergie montre
bien les tensions et les enjeux cruciaux que posent les questions environnementales
à l'humanité, ainsi que les enjeux politiques et économiques
qui sous-tendent la mise en place d'une politique de développement
durable à l'échelon mondial.
Pour en savoir plus, les étudiants sont vivement incités à consulter les nombreux rapports produits par les différents organismes des Nations Unies sur les questions de l'environnement et du développement durable. On signalera en particulier deux rapports accessibles sur Internet dans une forme abrégée ou détaillée :
GEO-1 (Global Environment Outlook-1) : Ce rapport bisannuel produit par l'UNEP et dont la première livraison date de 1997 tente de brosser un tableau complet des questions environnementales à l'échelle mondiale, tableau complété par des études plus détaillées sur certains thèmes ou sur certaines aires continentales ou sous-continentales.
SDIS
(Sustainable Development Information Service) : Le site internet du
WRI (World Research Institute) comporte une documentation très abondante
sur la question du développement durable à l'échelle
planétaire.
Chacun de ces deux sites internet comporte l'adresse de
nombreux liens vers les autres agences privées ou publiques, nationales
ou internationales, engagées dans la recherche sur les questions
environnementales à l'échelon mondial.