Claude Grasland
Université Paris VII / UFR GHSS 
"A quoi sert l'Institut Universitaire de France ?"
(sept. 2000)
 
Remarque : ce texte, rédigé en septembre 2000 a été envoyé à la Conférence des Présidents d'Université et proposé pour publication au journal Le Monde dans la rubrique Débats qui ne l'a pas retenu (c'était au cours de la semaine où Le Monde a  publié le contenu de la cassette Mery ...). Une version abrégée a été publiée dans le Bulletin d'Intergéo de sept-oct. 2000.



A quoi sert l'Institut Universitaire de France ?

Jusqu'à la présente rentrée universitaire, on pouvait ignorer l'existence de l'Institut Universitaire de France (IUF) et le ranger au rang de ces "danseuses" dont la République est si friande. Inutile, mais finalement guère nuisible, l'IUF apparaissait comme une niche dorée permettant à quelques universitaires privilégiés d'assurer moins d'heures de cours (nommés pour 5 ans, les membres de l'IUF ne doivent assurer qu'un tiers de leur service soit 64 h par an) tout en disposant de substantiels crédits de recherche non soumis aux aléas de contrats de recherche privés ou publics, de plus en plus difficiles à obtenir. On pouvait certes penser que tout cela faisait fâcheusement double emploi avec les détachements au CNRS ou les congés sabbatiques accordés par le CNU, mais les crédits sont toujours bon à prendre et si l'IUF permettait à une équipe de recherche de disposer de plus de ressources ou à un jeune maître de conférence de préparer tranquillement son habilitation, pourquoi pas ?

Malheureusement les membres de l'IUF ne semblent pas se satisfaire des avantages déjà exorbitants qui leur sont accordés, et revendiquent aujourd'hui avec succès le fléchage à leur profit de bourses de thèse prises sur le contingent des Ecoles Doctorales, devenues simples chambre d'enregistrement de décisions d'attribution nominales. En effet, un jury d'Ecole Doctorale qui refuse d'attribuer une bourse à un candidat parrainé par l'IUF perd automatiquement le bénéfice de celle-ci.

Ainsi, non contents d'avoir obtenu du temps libre, des crédits et des locaux, les membres de l'IUF réclament aujourd'hui des thésards attachés à leur personne, non soumis aux aléas d'une sélection dans le cadre d'un jury d'Ecole Doctorale. Ces bourses fléchées sont même accordées à des membres "junior" de l'IUF, c'est-à-dire généralement non titulaire d'une habilitation à diriger des recherches. Est-ce à dire que l'entrée à l'IUF entraîne automatiquement une dispense d'HDR, en contradiction avec les règles normales du Conseil National des Universités ? Et si l'on souhaite permettre à de jeunes maîtres de conférence d'encadrer des thèses, pourquoi réserver cet avantage aux membres de l'IUF ?

L'IUF apparaît ainsi comme une machine à remonter le temps, qui vise ni plus ni moins à nous ramener à la situation mandarinale qui prévalait avant 1968. Désormais, un étudiant souhaitant bénéficier d'une bourse de thèse aura sans doute plus avantage à faire la cour à un membre de l'IUF qu'à se soumettre aux jugements successifs des jury de son DEA et de son Ecole Doctorale de rattachement. L'institution vaguement inutile qu'était l'IUF a indéniablement réussi à forcer l'attention puisque, par la volonté du Prince, ses membres sont désormais en mesure de peser fortement sur l'avenir de la recherche universitaire française.

On aurait aimé ne pas avoir à s'intéresser à une institution qui, fondée sur l'auto promotion de ses membres, ne vise précisément qu'à capter par tous les moyens l'attention extérieure. Mais les circonstances actuelles obligent à y regarder de plus près et une visite sur le site internet de l'IUF s'avère de ce point de vue particulièrement instructive.

La page de garde du site rappelle avec une modestie de bon aloi que "de même que la création du Collège de France en 1530 fut un puissant moyen de rénovation du système d'enseignement supérieur, qui marqua de son empreinte la Renaissance, la création de l'Institut universitaire de France, en 1991, marque la volonté de faire de la production et de la diffusion du savoir le moteur de l'ensemble du système universitaire." Les objectifs affichés de l'IUF sont (1) d'encourager les établissements et les enseignants-chercheurs à l'excellence en matière de recherche, avec les retombées positives qu'on peut en attendre sur l'enseignement et la formation des jeunes chercheurs et (2) de contribuer à une répartition équilibrée de l'excellence dans le pays, et donc à une politique d'aménagement du territoire.

On ne pourrait qu'applaudir à un si noble projet d'Université hors les murs, irriguant le territoire français d'un flot de savoir et d'excellence … si les productions mises à disposition de la communauté universitaire par l'IUF reflétaient véritablement ses objectifs. Pour s'en tenir au site internet de l'IUF, il fournit certes de façon détaillée la liste des membres présents et passés de l'institution, les règles de recrutement, les décrets définissant ses avantages et privilèges … mais ne donne pas accès en ligne à la moindre production scientifique ou didactique. La rubrique publication se résume à la présentation d'un unique ouvrage consacré aux échanges interdisciplinaire au sein de l'IUF et les notices individuelles des membres se bornent à indiquer les thèmes de recherche de ces derniers, sans mention des travaux publiés ou des cours dispensés durant leur séjour à l'IUF… La plupart des sites internet des équipes de recherche ou des universités fournissent une information autrement abondante et utile à la collectivité !

Dans l'esprit de ses fondateurs, l'IUF aurait dû constituer un lieu privilégié d'échange de travaux de recherche mais aussi de modules d'enseignement de haut niveau mis à la disposition de l'ensemble de la communauté universitaire. Que des enseignants reconnus soient déchargés d'une partie de leur service pour construire un ensemble intégré de cours et de travaux dirigés de tous niveaux (DEUG, licence, maîtrise, DEA) et les mettent à la disposition de leurs collègues via Internet aurait véritablement répondu au défi d'une Université hors les murs et aurait sans nul doute justifié l'existence d'une institution appelée Institut Universitaire de France ! Mais qu'une minorité privilégiée s'arroge le pouvoir de conduire la recherche française en court-circuitant toutes les institutions reconnues et nous ramène 30 ans en arrière constitue un scandale qui ne saurait durer.

En conséquence, nous demandons qu'un débat public soit organisé au sein des grandes institutions d'enseignement et de recherche (CNU, CPU, CNRS) sur la justification des bourses de thèses de doctorat fléchées en faveur de l'IUF et, plus généralement, sur les finalités de cette institution. Si vraiment le gouvernement est décidé à lui accorder une telle importance, il conviendrait sans doute de revoir le mode de désignation de ses membres (la composition du jury de l'IUF est actuellement décidée par décret du gouvernement et ne repose sur aucune élection comme c'est le cas au CNRS ou au CNU).

Pour notre part, il nous semble que, si l'on renonce à la solution la plus simple qui serait sa suppression, on devrait le transformer en un centre d'excellence non seulement scientifique mais aussi pédagogique pour l'enseignement supérieur. Les membres de l'IUF auraient pour principale tâche de produire des cours et des travaux dirigés, accessibles en ligne sur internet, qui bénéficieraient à l'ensemble des étudiants français et contribueraient au rayonnement international de l'enseignement supérieur français à l'étranger. Ils renoueraient ainsi avec la grande tradition du Collège de France dont il se veulent les héritiers.

Claude GRASLAND
Professeur de géographie,
Université Paris 7
Septembre 2000