AGREGATION DE GEOGRAPHIE
Préparation à l'épreuve écrite de commentaire de documents

Claude Grasland
Université Paris VII / UFR GHSS / Année 2001-2002 

Module n°2
LA MATRICE D'INFORMATION GEOGRAPHIQUE

Cours  Exercices  Bibliographie  Menu précédent

Cours

Objectifs

1- Essayer de présenter succintement les différentes dimensions de l'information géographique dans un cadre formalisé (lieux, attributs, temps, contextes spatiaux et territoriaux).
2- Montrer les différentes problématiques possibles en fonction de la présence ou de l'absence de chacune de ces dimensions.
3- Appliquer ce cadre formel à l'évaluation de différents types de documents (cartes, graphiques, textes, ...).

A) FORMALISATION DE L'INFORMATION GEOGRAPHIQUE

A.1) La formulation initiale de B. Berry

Matrice d’information géographique : ce terme inventé par le géographe américain B. Berry décrit un tableau à trois dimensions (cube) dans lequel les lignes (i) correspondent aux unités géographiques, les colonnes (j) correspondent aux caractères permettant de décrire ces unités géographiques, les plans étagés (t) correspondent aux dates ou périodes pour lesquelles ces attributs ont été mesurés.Un élément quelconque d’une matrice d’information géographique se note Xijtet désigne la " situation du lieu i, pour le caractère j au temps t ".
 
 

1980
Pop Sup Den
1990
Pop Sup Den
5
2000
Pop Sup Den
10
16
A
1000
67
15
17
30
B
5000
19
19
31
8
C
2000
23
32
10
D
1000
46
23
A.2) L'introduction d'une quatrième dimension

Si le schéma proposée par B. Berry a l'avantage d'être simple et clair, on peut remarquer qu'il n'a rien de spécifiquement géographique, en dehors du fait que les lignes de la matrices sont constitués sur la base de lieux. A la limite, on pourrait établir un schéma identique dans n'importe quelle discipline en remplaçant les lieux par d'autres types d'unités (individus ou groupes en sociologie, firmes ou ménages en économie, ...).

Pour passer d'une analyse statistique spatialisée à une véritable analyse géographique, il faut introduire dans le schéma de Berry une quatrième dimension qui a trait à la position géographique des lieux les uns par rapport aux autres, c'est-à-dire à leurs attributs de localisation et aux relations de proximité que l'on peut en déduire.

Il y a plusieurs manières d'introduire cette quatrième dimension selon l'information dont on dispose sur la proximité géographique des lieux. Pour ne pas trop compliquer l'exposé, on se limitera à deux situations très générales de prise en compte de la position relative des lieux : l'appartenance territoriale et la proximité spatiale.

L'appartenance territoriale des lieux peut être définie sur le plan statistique comme un attribut qualitatif de localisation qui permet de regrouper des unités spatiales élémentaires dans des entités spatiales de niveau supérieur. En termes relationnels, l'appartenance territoriale correspond généralement à une alternative binaire (0/1) définie par le fait d'appartenir (1) ou de ne pas appartenir (0) à la même entité de niveau supérieur.

La proximité spatiale des lieux peut être définie de très nombreuses manières (contiguïté, distance, connexité) et peut souvent (mais pas toujours) se déduire d'attributs quantitatifs de localisation tels que les coordonnées de position dans un plan où à la surface de la terre (d'où on déduit les distances à vol d'oiseau).

Cette quatrième dimension est toujours présente dans les documents cartographiques mais elle peut  également être présente de façon implicite ou explicite dans des documents statistiques, des textes ou des figures.

A.3) Analyse spatiale et approche relationnelle

On notera également que l'analyse spatiale propose une formulation alternative au schéma de B. Berry à travers le concept de matrice de relation entre les lieux. La plupart des questions adressées à la géographie peuvent en effet être formalisées à travers l'établissement de matrices dont les lignes et les colonnes correspondent à des lieux.

Matrice de relation spatiale : une matrice de relation spatiale correspond à un tableau ou les lignes et les colonnes correspondent à des lieux. A chaque couple de lieu (i,j) est associée une information décrivant un type de relations entre les lieux considérés.Une troisième dimension (t) correspond à l'évolution de ces relations au cours du temps. On peut distinguer plusieurs grandes familles de relations. Une typologie possible distingue 4 familles :

Ces matrices peuvent être étudiées séparément ou bien être mises en relation les unes avec les autres. Ce qui débouche sur de nombreuses problématiques telles que : B) IDENTIFICATION DE L'INFORMATION DISPONIBLE SUR CHAQUE DIMENSION

Confronté à un ensemble de documents variés, l'agrégatif doit commencer par faire un bilan précis de l'information disponible sur chacune des dimensions.

B.1) Identification des lieux (L)

Il est pour ainsi dire inconcevable que l'analyse géographique porte sur un lieu unique. Dans la plupart des cas, l'étude portera sur un ou plusieurs ensembles de lieux 1..i...n dont il faudra préciser à la fois la nature de ces lieux (régions, villes, routes, parcelles, stations climatiques, points de sondage, pixels, ...) et leur extension spatiale (ensemble de référence).

Si la définition des lieux est la plupart du temps facile (départements, stations météorologiques, points de sondages) elle peut s'avérer parfois plus délicates (e.g. statistiques mondiales des "pays" qui mélangent des Etats autonomes, des territoires dépendants, ... et qui ignorent certains Etats ne bénéficiant pas d'une reconnaissance internationale).

Il peut arriver que la définition même des lieux pertinents constitue l'objet de l'analyse (e.g. définition des agglomérations urbaines, des régions bioclimatiques, ...).

En tous les cas, il faut toujours examiner avec la plus grande attention les indications fournies sur les documents proposés et ne pas hésiter à critiquer la pertinence des entités d'analyse et de l'ensemble de référence choisis.

B.2) Identification des attributs des lieux (V)

Les lieux une fois définis peuvent être décrits par un ou plusieurs attributs (variables) dont il faut examiner avec le plus grand soin la nature (qualitative, quantitative, ordinale, ...) et la source (organisme producteur de l'information, auteur , ...).

La définition d'un attribut doit être examinée de façon très précise, afin de ne pas commettre d'erreur d'interprétation. Il faut en particulier bien vérifier quelle est l'unité de mesure (milliers, millions, milliards, %, p. 1000, ...), quels est la précision de la mesure (arrondis), etc. Il faut évidemment être capable de saisir toutes les implications d'une différence de définition (e.g. PNB en dollars courants ou en parité de pouvoir d'achat ; indicateur transversal ou longitudinal de fécondité ; etc.).

Les liaisons entre les indicateurs doivent également être clairement identifiés. Ainsi, une ventilation de l'emploi par secteur d'activité ou une nomenclature d'utilisation du sol du type Corine Land Cover vont autoriser des traitements spécifiques que ne permettrait pas une simple juxtaposition de variables indépendantes les unes des autres. Une combinaison particulièrement fréquente d'indicateur est celle qui associe un taux (e.g. taux de natalité) et le pondérant correspondant au dénominateur de ce taux (e.g. population).

B.3 Identification des temporalités (T)

Si certaines variables d'état peuvent être définies à un instant précis (t), d'autres ne peuvent être mesurées qu'au cours d'une certaine période comprise entre deux instants (t, t+1). Des situations plus complexes peuvent d'ailleurs se présenter (moyenne des indicateurs à plusieurs instants, sur plusieurs périodes, ...).

On distingue classiquement des variables d'état, mesurables théoriquement à chaque instant (population, proportion de jeunes) et des variables d'évolution ou flux (pris ici dans un sens très général) qui mesurent la variation d'une quantité au cours d'une période de temps. La distinction n'est cependant pas toujours évidente et certaines variables sont le résultat d'une combinaison entre variables d'état et variables d'évolution.
 

  B.4 Identification des contextes spatiaux et territoriaux (S)

Dernier élément, sans doute le plus fondamental, il convient d'identifier les variables de localisation qui permettent d'introduire des contextes territoriaux (appartenance) ou des contextes spatiaux (distance) dans l'analyse et l'interprétation des distributions spatiales.

En ce qui concerne les contextes territoriaux (S1), il existe toujours implicitement au moins 2 niveaux : celui des unités spatiales élémentaires et celui de l'espace de référence (ensemble des unités élémentaires). L'articulation de ces deux niveaux consiste, par exemple, à examiner les différences entre une unité spatiale particulière (e.g. la région Ile de France) et l'espace de référence (e.g. la France) pour un indicateur donné, à une date donnée (e.g. le PNB par habitant de l'Ile de France est supérieure de 54% à la moyenne française en 1998).

Mais il arrive fréquemment que l'on soit en présence de 3 ou 4 niveaux territoriaux d'analyse, ce qui va amener la prise en compte de nouvelles problématiques. Ainsi, si l'on dispose du PNB par habitant des régions de l'Union Européenne, on peut introduire dans l'analyse le niveau intermédiaire d'analyse des Etats et se poser des questions telles que "Les inégalités régionales de revenus sont-elles plus fortes en France, en Espagne ou en Italie ?".
 

  En ce qui concerne les contextes spatiaux (S2), ils sont toujours présents de façon implicite sur un document cartographique sous la forme de la distance ou de la contiguïté entre les unités spatiales. On peut donc toujours s'interroger sur l'existence de formes spatiales telles que des zones homogènes, des discontinuités, des gradients, etc. Ou bien se demander si les unités spatiales proches se ressemblent plus ou moins que les unités spatiales éloignées (problème d'autocorrélation spatiale).

Les contextes spatiaux peuvent également apparaître de façon explicite dans l'analyse, par exemple sur les graphiques qui étudient la variation d'un indicateur en fonction de la distance à un centre ou à un axe. Et bien évidemment dans toutes les analyses de flux où l'on étudie la décroissance des échanges en fonction de la distance (modèles d'interaction spatiale).

Il existe enfin des cas plus subtils où les contextes spatiaux servent de base à des transformations de l'information initiale. Ainsi, les chronocartes transforment les positions géographique des lieux pour que les distances dans le plan correspondent à des temps de trajet et non plus à des distances kilométriques à vol d'oiseau. De la même manière, les lissages cartographiques et les cartes de potentiel remplacent la valeur en un lieu par la valeur au voisinage de ce lieu (e.g. nombre d'habitants localisés dans un rayon de 100 km ou d'une heure).

A RETENIR :
 
Toute analyse d'un document précis ou d'un ensemble de documents doit être précédée d'une identification très précise des 4 dimensions (L,V,T,S) afin de repérer celles qui varient et celles qui sont fixées. Les questions qui pourront être posées découlent en effet directement de la présence ou de l'absence de ces différentes dimensions. 

Exercices
 

EXERCICE N°3
    La matrice d'information géographique
     sujet : L'intégration territoriale en ex-Tchécoslovaquie
 


 

Bibliographie

Charre J., 1995, Statistique et territoire, Reclus, Espace mode d'emploi, 119 p.
=> présentation claire des différentes manières d'étudier une information statistique spatialisée.

Pumain D., Saint-Julien T., 1997, L'analyse spatiale (1) : Localisations dans l'espace, Cursus-géographie, Armand-Colin, Paris, 167 p.
=> voir en particulier le chapitre 1 : "Information géographique et espace", pp. 7-47