1.2 LES MESURES DE CONCENTRATION TERRITORIALE

 
On entend par mesure de concentration territoriale des indices mesurant la répartition d'une population X à l'intérieur d'un ensemble de mailles territoriales (M) que l'on suppose posséder une signification non arbitraire. A la différence des indices d'équirépartition, les indices de concentration territoriale ne prennent pas en compte la superficie des mailles territoriales, c'est-à-dire qu'ils ne s'intéressent pas à la répartition de la population à l'intérieur de celles-ci.
En revanche, les indices de concentration territoriale peuvent prendre en compte la topologie du maillage c'est-à-dire le degré de contiguïté des mailles territoriales. Dans ce cas, on suppose que l'ensemble des mailles M1..Mk est muni d'une métrique C qui a tout couple de maille (i,j) associe une distance topologique Cij exprimant le nombre minimum de limites de mailles territoriales à franchir pour se rendre de i à j. On aura alors Cij =0 si i=j, Cij =1 si les mailles i et j ont une frontière commune, Cij =2 si l'on peut se rendre de i à j en traversant une seule maille k , etc.

1.2.1 Indices d'homogénéité territoriale

Les indices d'homogénéité territoriale visent uniquement à mesurer si la population est équirépartie entre les mailles territoriales, c'est-à-dire si les populations X1..Xk des différentes mailles territoriales sont égales ou non. On souhaite en général que l'indice soit borné entre 0 (concentration minimale) et 1 (concentration maximale). Les indices définis précédemment (Hoover, Gini) peuvent être employé à cet effet, mais à condition de remplacer la variable superficie par une variable identité donnant le même poids à chaque maille territoriale (quelque soit i, Yi=1). On peut toutefois proposer un indice plus simple et d'interprétation plus générale qui exprime la probabilité que deux individus tirés au hasard dans la population X soient localisés à l'intérieur de la même maille territoriale. Ceci revient dans la pratique a définir sur X.X la fréquence de la distance topologique Cij =0 .

Probabilité que deux individus appartiennent à la même maille territoriale

On définit  l'indice de concentration territoriale de la population X dans le maillage M (IX,M) par
 
L'indice précédent correspond à un tirage avec remise, c'est-à-dire au cas où le même individu peut être tiré de fois de suite. Si l'on veut calculer la probabilité que deux individus différents appartiennent à la même maille territoriale, il faut procéder à une correction de l'indice précédent lorsque le nombre d'individus est peu élevé.

 

Relation avec les indices d'hétérogénéité sociale

Dans la mesure où les indices précédent ne prennent pas en compte la topologie des mailles territoriales, ils se rattachent à la famille plus générale des indices d'hétérogénéité sociale qui mesurent la probabilité que deux membres d'une même population appartiennent à des classes différentes. Ainsi, le sociologue Blau propose un indice d'hétérogénéité sociale (IBlau) qui n'est rien d'autre que la probabilité que deux individus tirés au hasard dans une société appartiennent à des catégories sociales différentes. L'indice d'hétérogénéité de Blau n'est donc rien d'autre que le complément à l'unité de l'indice précédent.
Le géographe polonais Piasecki a également proposé un indice d'homogénéité ethnique des Etats qui n'est rien d'autre que l'indice  IX,M dans le cas particulier ou X est la population d'un état et M leur appartenance à un groupe ethno-linguistique.

Maillages sociaux et maillages territoriaux

Mathématiquement et conceptuellement les indices élémentaires d'homogénité territoriale ne diffèrent en rien des indices d'hétérogénéité sociale et, plus généralement des indices d'équirépartition d'une population à l'intérieur de différentes classes. Toute une série d'indices (dérivés notamment de la théorie de l'information et de l'entropie) peuvent donc être proposé pour mesurer des phénomènes de ce type. La seule originalité des indices de concentration territoriale est la nature du maillage M retenu (unités spatiales) et c'est par rapport aux hypothèses émises sur celui-ci qu'il faut juger de l'intérêt ou non d'une mesure de concentration territoriale élémentaire.
Si un Etat suppose que des régions de taille voisine rendent la gestion plus efficace, il peut chercher à minimiser la concentration territoriale en créant des unités administratives de gabarit comparable. Encore faut-il s'entendre sur les critères de taille utilisés (population, surface, richesse), l'optimisation de l'un de ceux-ci étant généralement incompatible avec les autres. Une comparaison des indices de concentration territoriale établie pour différents critères peut alors s'avérer utile.
Ajoutons enfin d'un mot que la limitation à l'étude des probabilités de relation entre paire d'individus peut être contestée. On pourrait en effet construire des indices mesurant la probabilité qu'un triplet (ou plus généralement un n-uplet) d'individus soient localisés dans la même maille territoriale.

1.2.2 Indices d'accessibilité territoriale

Une solution plus spécifiquement géographique au problème de la mesure de la concentration territoriale consiste à prendre en compte la position relative des mailles, c'est-à-dire à produire des indices qui sont un résumé de l'ensemble des proximités territoriales définies par la variable de contiguïté territoriale C .
Le problème de calcul de l'indice se décompose alors en deux étapes. Tout d'abord la définition d'une courbe d'accessibilité territoriale exprimant la probabilité que deux individus membres de la population X soient localisés dans des mailles territoriales situées à une certaine distance topologique. Puis le choix d'une mesure statistique permettant de résumer cette courbe à l'aide d'un indice approprié. Ce résumé peut s'opérer soit à l'aide d'une mesure d'accessibilité territoriale, soit à l'aide d'une mesure de potentiel territorial.

Construction de la courbe d'accessibilité territoriale et de sa dérivée

On se propose de définir la courbe IX,M,C(z) qui définit la probabilité que deux individus tirés au hasard dans la population X soient situés dans des mailles M éloignées d'une distance C inférieure ou égale à z. Pour ce faire on définit tout d'abord sa dérivée  I'X,M,C(z) qui est la probabilité que deux individus tirés au hasard dans la population X soient situés dans des mailles M éloignées d'une distance C strictement  égale à z par :
On en déduit la valeur de la courbe intégrale IX,M,C(z) :
On remarque immédiatement que l'indice élémentaire de concentration territoriale IX,M définit précédemment n'est rien d'autre que la valeur à l'origine de la courbe IX,M,C(z) c'est-à-dire la probabilité que deux individus soient localisées à une distance topologique territoriale égale à 0 (localisation dans la même unité territoriale).

Calcul d'un indice synthétique d'accessibilité territoriale

La première manière de résumer un indice d'accessibilité territoriale consiste à choisir une valeur centrale représentative de la distribution des distances topologiques territoriales entre les individus. Ce calcul n'impose pas d'hypothèse particulière sur la forme de l'interaction territoriale c'est-à-dire sur les conséquences d'un accroissement de la distance topologique sur les liens qui pourraient se constituer entre les membres de la population X. On pourra choisir indifféremment la distance territoriale moyenne, médiane ou modale comme résumé de la distribution ou tout autre quantile de la distribution des fréquences cumulées des distances topologiques entre les paires d'individus de la population X. On peut également choisir de compléter cette valeur centrale par un paramètre de dispersion (étendue, écart-type, écart-absolu moyen, intervalle interquartile) qui permet de mesurer la dispersion des distances topologiques. Toutes ces mesures relevant de la statistique descriptive classique, il n'est pas nécessaire de rappeler leur formulation et les hypothèses qui président à leur choix.

Calcul d'un indice de potentiel territorial de relation

Les indices de potentiel territorial de relation sont plus complexes dans la mesure où ils introduisent une hypothèse explicite sur l'influence que peut exercer le maillage territorial sur la constitution de relations (ou d'opportunités de relation) entre les individus de la population X. Ils impliquent également une référence au temps puisque les relations qui se nouent entre les individus de la population X s'inscrivent à l'intérieur d'un processus. Si l'on prend comme référence la densité de probabilité de relation entre deux individus localisés à l'intérieur de la même maille territoriale (fixée arbitrairement à 1), il faut proposer une évaluation de l'accroissement ou de la réduction de la probabilité de relation (ou de l'opportunité de relation) lorsque des individus sont localisés à une certaine distance topologique C. Ceci revient à définir une fonction d'interaction territoriale f(C) de forme quelconque à partir de laquelle sera évaluée la quantité d'opportunités de relation qui peuvent s'établir entre les individus en fonction de leur localisation territoriale à l'intérieur des mailles :
 
La formule ci-dessus montre clairement que le potentiel n'est rien d'autre qu'une autre façon de résumer la courbe d'accessibilité territoriale en calculant la moyenne des distances territoriales z pondérée par l'hypothèse d'interaction f(z).

1.2.3 Proposition d'un indice de concentration territoriale

On peut finalement proposé un indice normé de concentration territoriale en effectuant le rapport la distance territoriale moyenne entre deux mailles territoriales quelconque  et la distance territoriale moyenne entre les individus localisés dans les différentes mailles territoriales. Cet indice sera supérieur à 1 si les individus se localisent de préférence dans les mailles territoriales centrales (i.e. situées à une distance topologique des autres plus faible que la moyenne générale des distances inter-mailles) et il sera inférieur à 1 si les individus se localisent de préférence dans les mailles territoriales périphériques ( i.e. situées à une distance topologique des autres mailles plus forte que la moyenne générale des distances inter-mailles). Dans le cas d'une homogénéité territoriale parfaite (même nombre d'individus localisés dans chaque maille) la valeur de l'indice sera égale à 1, valeur qui serait également obtenue en moyenne si les individus étaient distribués de façon aléatoire entre les mailles territoriales.

Cet indice qui ne prend pas en compte la superficie des mailles territoriales correspond en fait à une variante d'indices plus généraux de concentration spatiale que nous allons maintenant examiner.
 
Suite du chapitre